grand'mere, et George Sand la revoit, telle qu'elle lui apparut, sur le
seuil de la demeure: "Une figure blanche et rosee, un air imposant, un
invariable costume compose d'une robe de soie brune a taille longue et a
manches plates, une perruque blonde et crepee en touffe sur le front, un
petit bonnet rond avec une cocarde de dentelle au milieu." C'etait la
premiere fois que Maurice amenait sa femme et ses enfants, et
sur-le-champ il fut necessaire de les soigner tous pour l'affreuse
maladie eruptive qu'ils avaient rapportee d'Espagne. Aurore, au bout de
quelques jours de traitement, fut guerie. Elle eut vite lie connaissance
avec Hippolyte, un gros garcon de neuf ans que Maurice avait eu avant
son mariage, et aussi avec Deschartres, qui, pour recevoir les nouveaux
hotes, avait revetu son plus beau costume: culottes courtes, bas blancs,
guetres de nankin, habit noisette, casquette a soufflet. Il semblait
qu'apres toutes les peripeties du voyage en Espagne ce dut etre le repos
et le bonheur. Bien au contraire, le petit aveugle mourut, consume par
la fievre, et ce fut pour madame Maurice Dupin une telle douleur qu'elle
eprouva une veritable hallucination. Elle s'imagina qu'on l'avait inhume
vivant, et elle persuada a son mari d'aller rouvrir la tombe. George
Sand a relate l'evenement dans une des pages les plus tragiques de
l'_Histoire de ma Vie_. Il y passe un frisson d'epouvante:
"Mon pere se leve, s'habille, ouvre doucement les portes, va prendre une
beche et court au cimetiere, qui touche a notre maison et qu'un mur separe
du jardin; il approche de la terre fraichement remuee et commence a
creuser... Il ne put voir assez clair pour distinguer la biere qu'il
decouvrait, et ce ne fut que quand il l'eut debarrassee en entier, etonne
de la longueur de son travail, qu'il la reconnut trop grande pour etre
celle de l'enfant. C'etait celle d'un homme de notre village qui etait
mort peu de jours auparavant. Il fallut creuser a cote, et la, en effet,
il retrouva le petit cercueil. Mais, en travaillant a le retirer, il
appuya fortement le pied sur la biere du pauvre paysan, et cette biere,
entrainee par le vide plus profond qu'il avait fait a cote, se dressa
devant lui, le frappa a l'epaule et le fit tomber dans le fosse."
Surmontant l'emotion qui l'agitait et lui mettait la sueur aux tempes, il
rapporta le cercueil de son enfant. La mere dut se rendre compte que
l'oeuvre de la mort etait accomplie. Elle voulut pourtant garder
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