ardaient tout le monde.
Madame de Beranger avait des pretentions a la sveltesse de la taille. Il
fallait deux femmes de chambre pour serrer son corset en appuyant les
genoux sur la cambrure du dos. A soixante ans, elle avait le ridicule de
porter une perruque blonde frisee a l'enfant, qui contrastait avec la
rudesse de ses traits et la teinte bilieuse de sa peau. Apres diner, en
jouant aux cartes, elle otait frequemment cette perruque qui la genait, et,
en petit serre-tete noir, elle ressemblait a un vieux cure. S'il
survenait une visite, elle cherchait precipitamment sa perruque, qui etait
a terre ou dans sa poche, ou sur laquelle elle etait assise, et elle la
remettait de cote ou a l'envers, ce qui lui donnait l'aspect le plus
comique.
Aurore etait parfois enfant terrible. A une madame de Maleteste qui
frequentait chez sa grand'mere, elle demanda un jour comment elle
s'appelait pour de bon, en ajoutant: "Mal de tete, mal a la tete, mal tete,
ce n'est pas un nom. Vous devriez vous facher quand on vous appelle comme
ca." Et a l'abbe d'Andrezel qui portait des _spencers_ sur ses habits, qui
allait au spectacle et mangeait de la poularde le vendredi saint, Aurore
posa une fois cette question embarrassante: "Si tu n'es pas cure, ou donc
est ta femme? Et, si tu es cure, ou donc est ta messe?"
Il y avait egalement la famille de Villeneuve, alliee aux Dupin de
Francueil, qui vivait de facon patriarcale dans une maison de la rue de
Grammont ou les quatre generations etaient reunies. A telles enseignes que
la bisaieule, madame de Courcelles, pouvait dire a madame de Guibert: "Ma
fille, va-t'en dire a ta fille que la fille de sa fille crie." C'etaient
la, pour Aurore, les relations mondaines et elegantes qu'elle devait a sa
grand'mere: elle en parle avec complaisance. Celles de sa mere etaient
plus humbles: elle n'y fait meme pas allusion. Mais, comme elle a
contracte depuis 1835 des sentiments democratiques, George Sand leur donne
dans l'_Histoire de ma Vie_ un caractere retrospectif. A l'en croire,
fillette de dix ans, elle dedaignait les gens de qualite et elle avait
coutume de dire: "Je voudrais etre un boeuf ou un ane; on me laisserait
marcher a ma guise et brouter comme je l'entendrais, au lieu qu'on veut
faire de moi un chien savant, m'apprendre a marcher sur les pieds de
derriere et a donner la patte." Elle atteste qu'il lui semblerait plus
enviable d'etre une laveuse de vaisselle qu'une vieille marquise fleurant
le
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