si bien qu'on voyait de
chaque cote du chemin, et a des distances tres rapprochees, des cadavres
accroches aux branches et que le vent balancait sur votre tete." D'annee
en annee, on comptait les nouveaux pendus, autour desquels volaient des
corbeaux rapaces, et c'etait tout ensemble un spectacle lugubre et une
odeur repugnante.
Le sejour de Paris raviva chaque fois la tendresse d'Aurore pour sa mere
dont on chercha vainement a la detacher. Madame Dupin, imbue de rancunes
et de prejuges aristocratiques, ne voulait pas que sa petite-fille, qui
descendait du marechal de Saxe et d'un roi de Pologne, frayat avec cette
soeur ainee, Caroline Delaborde, nee de pere inconnu. Ce fut la source de
querelles ou la grand'mere finit par ceder. Il y avait, en effet, nous dit
George Sand, deux camps dans la maison: "_le parti de ma mere_, represente
par Rose, Ursule et moi; _le parti de ma grand'mere_, represente par
Deschartres et par Julie."
Quand Aurore eut la rougeole, comme sa mere ne venait pas la voir ou
s'arretait au seuil de sa chambre, cette conduite fut, dans la domesticite,
l'objet d'appreciations contradictoires. Pour les uns, madame Sophie
Dupin craignait de contracter la maladie et s'abstenait d'approcher son
enfant. Pour les autres--et cette version est plus vraisemblable--elle
apprehendait d'apporter la rougeole a Caroline.
Chez sa bonne maman, Aurore avait coutume de voir en visite un certain
nombre de personnes de qualite: son grand-oncle M. de Beaumont, madame de
la Marliere, madame Junot, plus tard duchesse d'Abrantes, madame de
Pardaillan, "petite bonne vieille qui avait ete fort jolie, qui etait
encore proprette, mignonne et fraiche sous les rides," et donnait a la
jeune Aurore ce conseil en forme d'horoscope: "Soyez toujours bonne, ma
pauvre enfant, car ce sera votre seul bonheur en ce monde." Il y avait
encore deux _vieilles comtesses_, comme disait dedaigneusement Sophie
Dupin: madame de Ferrieres qui, ayant de _beaux restes_ a montrer, avait
toujours les bras nus dans son manchon des le matin; "mais ces beaux bras
de soixante ans, relate George Sand, etaient si flasques qu'ils devenaient
tout plats quand ils se posaient sur une table, et cela me causait une
sorte de degout."
L'autre etait madame de Beranger, dont le mari pretendait descendre de
Beranger, roi d'Italie au temps des Goths. La Revolution les avait ruines.
N'importe, ils demeuraient haut perches sur leur orgueil,
Et comme du fumier reg
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