s dames de ne pas avoir peur, j'ai
de bons chevaux." Trois enormes silhouettes, d'aspect ramasse, se
projetaient sur les bords de la route. Madame Dupin les prit pour des
voleurs. C'etaient de grands ours de montagne.
Certaine nuit, il fallut coucher dans une chambre d'auberge ou le plancher
avait une large tache de sang. La mere d'Aurore, tremblante de peur,
voulut aller a la decouverte. Elle etait persuadee qu'un pauvre soldat
francais avait ete assassine par les Espagnols. En ouvrant une porte, elle
finit par decouvrir les cadavres de trois porcs. Et cette anecdote
rappelle celle de Paul-Louis Courier, au fin fond des Calabres.
Nous voici a Madrid. Maurice Dupin etait loge au troisieme etage du palais
du prince de la Paix, "le plus riche, dit George Sand, et le plus
confortable de Madrid, car il avait protege les amours de la reine et de
son favori (Godoy), et il y regnait plus de luxe que dans la maison du roi
legitime." Elle nous depeint un appartement immense, tout tendu en damas
de soie cramoisi. "Les corniches, les lits, les fauteuils, les divans,
tout etait dore et me parut en or massif, comme dans les contes de fees.
Il y avait d'enormes tableaux qui me faisaient peur." Si le palais etait
somptueux, il etait egalement malpropre. Les animaux domestiques y
pullulaient, notamment des lapins qui circulaient en liberte a travers les
corridors, les chambres et les salons. La petite Aurore se prit d'une
particuliere affection pour l'un d'eux, tout blanc, avec des yeux de
rubis. Il egratignait les inconnus, mais avec elle il etait tres familier,
dormant sur ses genoux ou sur sa robe, tandis qu'elle racontait des
histoires.
Le palais du prince de la Paix avait pour hote principal Joachim Murat, a
l'etat-major duquel Maurice Dupin etait attache. Murat a laisse dans
l'imagination de George Sand un souvenir eblouissant. Il avait pris en
grande amitie cette enfant qu'on lui presenta revetue d'un uniforme
militaire, semblable a quelque deguisement de carnaval, mais que
l'_Histoire de ma Vie_ nous retrace avec complaisance: "Cet uniforme etait
une merveille. Il consistait en un dolman de Casimir blanc tout galonne et
boutonne d'or fin, une pelisse pareille garnie de fourrure noire et jetee
sur l'epaule, et un pantalon de casimir amarante avec des ornements et
broderies d'or a la hongroise. J'avais aussi les bottes de maroquin rouge
a eperons dores, le sabre, le ceinturon de ganses de soie cramoisi a
canons et aiguillett
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