on, monsieur, non, je ne vous le laisserai pas prendre.
-- C'est une plaisanterie.
-- Pas pour moi, rien n'est plus serieux: M. Vulfran m'a defendu
de laisser voir cette lettre par personne, j'obeis a M. Vulfran.
-- C'est moi qui l'ai ouverte.
-- La lettre en anglais n'est pas la traduction.
-- Mon oncle va me la montrer tout a l'heure cette fameuse
traduction.
-- Si monsieur votre oncle vous la montre, ce ne sera pas moi; il
m'a donne ses ordres, j'obeis, pardonnez-le moi."
Il y avait tant de resolution dans son accent et dans son attitude
que bien certainement pour avoir cette feuille de papier il
faudrait la lui prendre de force; et alors ne crierait-elle point?
Theodore n'osa pas aller jusque-la:
"Je suis enchante de voir, dit-il, la fidelite que vous montrez
pour les ordres de mon oncle, meme dans les choses
insignifiantes."
Lorsqu'il eut referme la porte, Perrine voulut se remettre au
travail, mais elle etait si bouleversee que cela lui fut
impossible. Qu'allait-il advenir de cette resistance, dont il se
disait enchante quand au contraire il en etait furieux? S'il
voulait la lui faire payer, comment lutterait-elle, miserable sans
defense, contre un ennemi qui etait tout-puissant? Au premier coup
qu'il lui porterait, elle serait brisee. Et alors il faudrait
qu'elle quittat cette maison, ou elle n'aurait que passe.
A ce moment sa porte s'ouvrit de nouveau, doucement poussee, et
Talouel entra a pas glisses, les yeux fixes sur le pupitre ou la
lettre et son commencement de traduction se trouvaient etales.
"Eh bien, cette traduction de la lettre de Dakka, ca marche-t-il?
-- Je ne fais que commencer.
-- M. Theodore t'a derangee. Qu'est-ce qu'il voulait?
-- Un dictionnaire anglais-francais.
-- Pourquoi faire? il ne sait pas l'anglais.
-- Il ne me l'a pas dit.
-- Il ne t'a pas demande ce qu'il y a dans cette lettre?
-- Je n'en suis qu'a la premiere phrase.
-- Tu ne vas pas me faire croire que tu ne l'as pas lue.
-- Je ne l'ai pas encore traduite.
-- Tu ne l'as pas ecrite en francais, mais tu l'as lue."
Elle ne repondit pas.
"Je te demande si tu l'as lue; tu me repondras peut-etre.
-- Je ne peux pas repondre.
-- Parce que?
-- Parce que M. Vulfran m'a defendu de parler de cette lettre.
-- Tu sais bien que M. Vulfran et moi nous ne faisons qu'un. Tous
les ordres que M. Vulfran donne ici passent par moi, toutes les
faveurs qu'il accorde passent par moi, je dois
|