. Elle eut pu avoir des doutes
a ce sujet, que la tentative de Theodore aupres d'elle devait
l'empecher de les admettre: pas plus que le neveu, le directeur
n'etait sincere, l'un et l'autre voulaient savoir ce que disait la
lettre de Dakka et ne voulaient que cela; c'etait donc contre eux
que M. Vulfran prenait ses precautions quand il lui disait: "S'il
se trouve quelqu'un qui ose t'interroger, tu dois non seulement ne
rien dire, mais meme ne laisser rien deviner;" et c'etait a
M. Vulfran, qui certainement avait prevu ces tentatives, a lui
seul qu'elle devait obeir, sans prendre autrement souci des
coleres et des haines qu'elle allait accumuler contre elle.
Il etait debout devant elle, appuye sur son bureau, penche vers
elle, la tenant dans ses yeux, l'enveloppant, la dominant; elle
fit appel a tout son courage, et d'une voix un peu rauque qui
trahissait son emotion, mais qui ne tremblait pas cependant, elle
dit:
"M. Vulfran m'a defendu de parler de cette lettre a personne."
Il se redressa furieux de cette resistance, mais presque aussitot
se penchant de nouveau vers elle en se faisant caressant dans les
manieres comme dans l'accent:
"Justement je ne suis personne, puisque je suis son second, un
autre lui-meme.
Elle ne repondit pas,
"Tu es donc stupide? s'ecria-t il d'une voix etouffee.
-- Sans doute, je le suis.
-- Alors, tache de comprendre qu'il faut etre intelligent pour
occuper la place que M. Vulfran t'a donnee aupres de lui, et que
puisque cette intelligence te manque, tu ne peux pas garder cette
place, et qu'au lieu de te soutenir comme je l'aurais voulu, mon
devoir est de te faire renvoyer. Comprends-tu cela?
-- Oui, monsieur.
-- Eh bien, reflechis-y, pense a ce qu'est ta situation
aujourd'hui, represente-toi ce qu'elle sera demain dans la rue, et
prends une resolution que tu me feras connaitre ce soir."
La-dessus, apres avoir attendu un moment sans qu'elle faiblit, il
sortit a pas glisses comme il etait entre.
XXXI
"Reflechis."
Elle eut voulu reflechir; mais comment, alors que M. Vulfran
attendait?
Elle se remit donc a sa traduction, se disant que pendant qu'elle
travaillerait, son emotion se calmerait peut-etre, et qu'alors
elle serait sans doute mieux en etat d'examiner sa situation et de
decider ce qu'elle avait a faire.
"La principale difficulte que j'ai, comme je vous le dis,
rencontree dans mes recherches, a ete celle du temps qui s'est
ecoule depuis le mariage
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