ettes jusqu'au telephone. Songe a tout ce que
tu vois tous les jours, a tout ce qui nous sert de toutes les facons.
Pour adoucir notre sort de brutes, nous avons decouvert et fabrique de
tout, a commencer par des maisons, puis des nourritures exquises, des
sauces, des bonbons, des patisseries, des boissons, des liqueurs, des
etoffes, des vetements, des parures, des lits, des sommiers, des
voitures, des chemins de fer, des machines innombrables; nous avons,
de plus, trouve les sciences et les arts, l'ecriture et les vers. Oui,
nous avons cree les arts, la poesie, la musique, la peinture. Tout
l'ideal vient de nous, et aussi toute la coquetterie de la vie, la
toilette des femmes et le talent des hommes qui ont fini par un peu
parer a nos yeux, par rendre moins nue, moins monotone et moins dure
l'existence de simples reproducteurs pour laquelle la divine
Providence nous avait uniquement animes.
Regarde ce theatre. N'y a-t-il pas la-dedans un monde humain cree par
nous, imprevu par les Destins eternels, ignore d'Eux, comprehensible
seulement par nos esprits, une distraction coquette, sensuelle,
intelligente, inventee uniquement pour et par la petite bete
mecontente et agitee que nous sommes.
Regarde cette femme, Mme de Mascaret. Dieu l'avait faite pour vivre
dans une grotte, nue, ou enveloppee de peaux de betes. N'est-elle pas
mieux ainsi? Mais, a ce propos, sait-on pourquoi et comment sa brute
de mari, ayant pres de lui une compagne pareille et, surtout apres
avoir ete assez rustre pour la rendre sept fois mere, l'a lachee tout
a coup pour courir les gueuses.
Grandin repondit.
--Eh! mon cher, c'est probablement la l'unique raison. Il a fini par
trouver que cela lui coutait trop cher, de coucher toujours chez lui.
Il est arrive, par economie domestique, aux memes principes que tu
poses en philosophe.
On frappait les trois coups pour le dernier acte. Les deux amis se
retournerent, oterent leur chapeau et s'assirent.
IV
Dans le coupe qui les ramenait chez eux apres la representation de
l'Opera, le comte et la comtesse de Mascaret, assis cote a cote, se
taisaient. Mais voila que le mari, tout a coup, dit a sa femme:
--Gabrielle!
--Que me voulez-vous?
--Ne trouvez-vous pas que ca a assez dure!
--Quoi donc?
--L'abominable supplice auquel, depuis six ans, vous me condamnez.
--Que voulez-vous, je n'y puis rien.
--Dites-moi lequel, enfin?
--Jamais.
--Songez que je ne puis plus voir m
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