i l'avait
trompe, etait demeuree plus de trente ans avec son rival.
Ce fut presque malgre lui qu'il balbutia:
--Furent-ils heureux ensemble?
En ricanant, le jeune homme repondit:
--Mais oui, avec des hauts et des bas! Ca aurait ete tres bien sans
moi. J'ai toujours tout gate, moi.
--Comment, et pourquoi? dit le pretre.
--Je vous l'ai deja raconte. Parce qu'il a cru que j'etais son fils
jusqu'a mon age de quinze ans environ. Mais il n'etait pas bete, le
vieux, il a bien decouvert tout seul la ressemblance, et alors il y a
eu des scenes. Moi, j'ecoutais aux portes. Il accusait maman de
l'avoir mis dedans. Maman ripostait: "Est-ce ma faute. Tu savais tres
bien, quand tu m'as prise, que j'etais la maitresse de l'autre."
L'autre, c'etait vous.
--Ah! ils parlaient donc de moi quelquefois?
--Oui, mais ils ne vous ont jamais nomme devant moi, sauf a la fin,
tout a la fin, aux derniers jours, quand maman s'est sentie perdue.
Ils avaient tout de meme de la mefiance.
--Et vous ... vous avez appris de bonne heure que votre mere etait
dans une situation irreguliere?
--Parbleu! Je ne suis pas naif, moi, allez, et je ne l'ai jamais ete.
Ca se devine tout de suite ces choses-la, des qu'on commence a
connaitre le monde.
Philippe-Auguste se versait a boire coup sur coup. Ses yeux
s'allumaient, son long jeune lui donnant une griserie rapide.
Le pretre s'en apercut; il faillit l'arreter, puis la pensee
l'effleura que l'ivresse rendait imprudent et bavard, et, prenant la
bouteille, il emplit de nouveau le verre du jeune homme.
Marguerite apportait la poule au riz. L'ayant posee sur la table, elle
fixa de nouveau ses yeux sur le rodeur, puis elle dit a son maitre
avec un air indigne:
--Mais regardez qu'il est saoul, monsieur le cure.
--Laisse-nous donc tranquilles, reprit le pretre et va-t-en.
Elle sortit en tapant la porte.
Il demanda:
--Qu'est-ce qu'elle disait de moi, votre mere?
--Mais ce qu'on dit d'ordinaire d'un homme qu'on a lache; que vous
n'etiez pas commode, embetant pour une femme, et qui lui auriez rendu
la vie tres difficile avec vos idees.
--Souvent elle a dit cela?
--Oui, quelquefois avec des subterfuges, pour que je ne comprenne
point, mais je devinais tout.
--Et vous, comment vous traitait-on dans cette maison?
--Moi? tres bien d'abord, et puis tres mal ensuite. Quand maman a vu
que je gatais son affaire, elle m'a flanque a l'eau.
--Comment ca?
--Comment ca! c'est
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