banales; et moi, les yeux leves vers le filet, je pensais: "Il a donc
trois enfants: les bonbons sont pour sa femme, la poupee pour sa
petite fille, le tambour et le fusil pour ses fils, ce pate de foies
gras pour lui."
Soudain, je lui demandai:
--Vous etes pere, monsieur?
Il repondit:
--Non, monsieur.
Je me sentis soudain confus comme si j'avais commis une grosse
inconvenance et je repris:
--Je vous demande pardon. Je l'avais pense en entendant votre
domestique parler de jouets. On entend sans ecouter, et on conclut
malgre soi.
Il sourit, puis murmura:
--Non, je ne suis meme pas marie. J'en suis reste aux preliminaires.
J'eus l'air de me souvenir tout a coup.
--Ah!... c'est vrai, vous etiez fiance, quand je vous ai connu,
fiance avec Mlle de Mandal, je crois.
--Oui, monsieur, votre memoire est excellente.
J'eus une audace excessive, et j'ajoutai:
--Oui, je crois me rappeler aussi avoir entendu dire que Mlle de
Mandal avait epouse monsieur ... monsieur ...
Il prononca tranquillement ce nom.
--M. de Fleurel.
--Oui, c'est cela! Oui ... je me rappelle meme, a ce propos, avoir
entendu parler de votre blessure;
Je le regardais bien en face; et il rougit.
Sa figure pleine, bouffie, que l'afflux constant de sang rendait deja
pourpre, se teinta davantage encore.
Il repondit avec vivacite, avec l'ardeur soudaine d'un homme qui
plaide une cause perdue d'avance, perdue dans son esprit et dans son
coeur, mais qu'il veut gagner devant l'opinion.
--On a tort, monsieur, de prononcer a cote du mien le nom de Mme de
Fleurel. Quand je suis revenu de la guerre, sans mes pieds, helas! je
n'aurais jamais accepte, jamais, qu'elle devint ma femme. Est-ce que
c'etait possible? Quand on se marie, monsieur, ce n'est pas pour faire
parade de generosite: c'est pour vivre, tous les jours, toutes les
heures, toutes les minutes, toutes les secondes, a cote d'un homme;
et, si cet homme est difforme, comme moi, on se condamne, en
l'epousant, a une souffrance qui durera jusqu'a la mort! Oh! je
comprends, j'admire tous les sacrifices, tous les devouements, quand
ils ont une limite, mais je n'admets pas le renoncement d'une femme a
toute une vie qu'elle espere heureuse, a toutes les joies, a tous les
reves, pour satisfaire l'admiration de la galerie. Quand j'entends
sur le plancher de ma chambre le battement de mes pilons et celui de
mes bequilles, ce bruit de moulin que je fais a chaque pas, j'ai des
exas
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