taient pas,
tant elles riaient, bien qu'il fut tres laid. Il les entrainait, en
blaguant, derriere un mur, dans un fosse, dans une etable, puis il les
chatouillait et les pressait, avec des propos si comiques qu'elles se
tenaient les cotes en le repoussant. Alors il gambadait, faisait mine
de se vouloir pendre, et elles se tordaient, les larmes aux yeux; il
choisissait un moment et les culbutait avec tant d'a-propos qu'elles y
passaient toutes, meme celles qui l'avaient brave, histoire de
s'amuser.
Donc, vers la fin de juin il s'engagea, pour faire la moisson, chez
maitre Le Harivau pres de Rouville. Pendant trois semaines entieres il
rejouit les moissonneurs, hommes et femmes par ses farces, tant le
jour que la nuit. Le jour on le voyait dans la plaine, au milieu des
epis fauches, on le voyait coiffe d'un vieux chapeau de paille qui
cachait son toupet roussatre, ramassant avec ses longs bras maigres et
liant en gerbes le ble jaune; puis s'arretant pour esquisser un geste
drole qui faisait rire a travers la campagne le peuple des
travailleurs qui ne le le quittait point de l'oeil. La nuit il se
glissait comme une bete rampante, dans la paille des greniers ou
dormaient les femmes, et ses mains rodaient, eveillaient des cris,
soulevaient des tumultes. On le chassait a coups de sabots et il
fuyait a quatre pattes, pareil a un singe fantastique au milieu des
fusees de gaiete de la chambree tout entiere.
Le dernier jour, comme le char des moissonneurs, enrubanne et
cornemusant, plein de cris, de chants, de joie et d'ivresse, allait
sur la grande route blanche, au pas lent de six chevaux pommeles,
conduit par un gars en blouse portant cocarde a sa casquette, Pavilly,
au milieu des femmes vautrees, dansait un pas de satyre ivre qui
tenait, bouche bee, sur les talus des fermes les petits garcons
morveux et les paysans stupefaits de sa structure invraisemblable.
Tout a coup, en arrivant a la barriere de la ferme de maitre Le
Harivau, il fit un bond en elevant les bras, mais par malheur il
heurta, en retombant, le bord de la longue charrette, culbuta par
dessus, tomba sur la roue et rebondit sur le chemin.
Ses camarades s'elancerent. Il ne bougeait plus, un oeil ferme,
l'autre ouvert, bleme de peur, ses grands membres allonges dans la
poussiere.
Quant on toucha sa jambe droite, il se mit a pousser des cris et,
quand on voulut le mettre debout, il s'abattit.
--Je crais ben qu'il a une patte cassee, dit un homme.
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