esoin. J'attendis.
J'attendis longtemps, ne pouvant me decider a rien, l'esprit lucide,
mais follement anxieux. J'attendis, debout, ecoutant toujours le
bruit qui grandissait, qui prenait, par moments, une intensite
violente, qui semblait devenir un grondement d'impatience, de colere,
d'emeute mysterieuse.
Puis soudain, honteux de ma lachete, je saisis mon trousseau de clefs,
je choisis celle qu'il me fallait, je l'enfoncai dans la serrure, je
la fis tourner deux fois, et poussant la porte de toute ma force,
j'envoyai le battant heurter la cloison.
Le coup sonna comme une detonation de fusil, et voila qu'a ce bruit
d'explosion repondit, du haut en bas de ma demeure, un formidable
tumulte. Ce fut si subit, si terrible, si assourdissant que je reculai
de quelques pas, et que, bien que le sentant toujours inutile, je
tirai de sa gamine mon revolver.
J'attendis encore, oh! peu de temps. Je distinguais, a present, un
extraordinaire pietinement sur les marches de mon escalier, sur les
parquets, sur les tapis, un pietinement, non pas de chaussures, de
souliers humains, mais de bequilles, de bequilles de bois et de
bequilles de fer qui vibraient comme des cymbales. Et voila que
j'apercus tout a coup, sur le seuil de ma porte, un fauteuil, mon
grand fauteuil de lecture, qui sortait en se dandinant. Il s'en alla
par le jardin. D'autres le suivaient, ceux de mon salon, puis les
canapes bas et se trainant comme des crocodiles sur leurs courtes
pattes, puis toutes mes chaises, avec des bonds de chevres, et les
petite tabourets qui trottaient comme des lapins.
Oh! quelle emotion! Je me glissai dans un massif ou je demeurai
accroupi, contemplant toujours ce defile de mes meubles, car ils s'en
allaient tous, l'un derriere l'autre, vite ou lentement, selon leur
taille et leur poids. Mon piano, mon grand piano a queue, passa avec
un galop de cheval emporte et un murmure de musique dans le flanc, les
moindres objets glissaient sur le sable comme des fourmis, les
brosses, les cristaux, les coupes, ou le clair de lune accrochait des
phosphorescences de vers luisants. Les etoffes rampaient, s'etalaient
en flaques a la facon des pieuvres de la mer. Je vis paraitre mon
bureau, un rare bibelot du dernier siecle, et qui contenait toutes les
lettres que j'ai recues, toute l'histoire de mon coeur, une vieille
histoire dont j'ai tant souffert! Et dedans etaient aussi des
photographies.
Soudain, je n'eus plus peur, je m'elancai sur lui
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