et offrant le filet du dos a l'enfant de sa jeunesse:
--C'est moi qui l'ai pris tantot, dit-il, avec un reste de fierte qui
surnageait dans sa detresse.
Marguerite ne s'en allait pas.
Le pretre reprit:
--Apportez du vin, du bon, du vin blanc du cap Corse.
Elle eut presque un geste de revolte, et il dut repeter, en prenant un
air severe: "Allez, deux bouteilles". Car, lorsqu'il offrait du vin a
quelqu'un, plaisir rare, il s'en offrait toujours une bouteille a
lui-meme.
Philippe-Auguste, radieux, murmura.
--Chouette. Une bonne idee. Il y a longtemps que je n'ai mange comme
ca.
La servante revint au bout de deux minutes. L'abbe les jugea longues
comme deux eternites, car un besoin de savoir lui brulait a present le
sang, devorant ainsi qu'un feu d'enfer.
Les bouteilles etaient debouchees, mais la bonne restait la, les yeux
fixes sur l'homme.
--Laissez-nous--dit le cure.
Elle fit semblant de ne pas entendre.
Il reprit presque durement:
--Je vous ai ordonne de nous laisser seuls.
Alors elle s'en alla.
Philippe-Auguste mangeait le poisson avec une precipitation vorace;
et son pere le regardait, de plus en plus surpris et desole de tout ce
qu'il decouvrait de bas sur cette figure qui lui ressemblait tant. Les
petits morceaux que l'abbe Vilbois portait a ses levres, lui
demeuraient dans la bouche, sa gorge serree refusant de les laisser
passer; et il les machait longtemps, cherchant, parmi toutes les
questions qui lui venaient a l'esprit, celle dont il desirait le plus
vite la reponse.
Il finit par murmurer:
--De quoi est-elle morte?
--De la poitrine.
--A-t-elle ete longtemps malade?
--Dix-huit mois, a peu pres.
--D'ou cela lui etait-il venu?
--On ne sait pas.
Ils se turent. L'abbe songeait. Tant de choses l'oppressaient qu'il
aurait voulu deja connaitre, car depuis le jour de la rupture, depuis
le jour ou il avait failli la tuer, il n'avait rien su d'elle. Certes,
il n'avait pas non plus desire savoir, car il l'avait jetee avec
resolution dans une fosse d'oubli, elle, et ses jours de bonheur; mais
voila qu'il sentait naitre en lui tout a coup, maintenant qu'elle
etait morte, un ardent desir d'apprendre, un desir jaloux, presque un
desir d'amant.
Il reprit:
--Elle n'etait pas seule, n'est-ce pas?
--Non, elle vivait toujours avec lui.
Le vieillard tressaillit.
--Avec lui! Avec Pravallon?
--Mais oui.
Et l'homme jadis trahi, calcula que cette meme femme qu
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