l'habitent. N'est-elle pas visiblement et uniquement disposee,
plantee et boisee pour des animaux. Qu'y a-t-il pour nous? Rien. Et
pour eux, tout: les cavernes, les arbres, les feuillages, les sources,
le gite, la nourriture et la boisson. Aussi les gens difficiles comme
moi n'arrivent-ils jamais a s'y trouver bien. Ceux-la seuls qui se
rapprochent de la brute sont contents et satisfaits. Mais les autres,
les poetes, les delicats, les reveurs, les chercheurs, les inquiets.
Ah! les pauvres gens!
Je mange des choux et des carottes, sacrebleu, des oignons, des navets
et des radis, parce que nous avons ete contraints de nous y
accoutumer, meme d'y prendre gout, et parce qu'il ne pousse pas autre
chose, mais c'est la une nourriture de lapins et de chevres, comme
l'herbe et le trefle sont des nourritures de cheval et de vache. Quand
je regarde les epis d'un champ de ble mur, je ne doute pas que cela
n'ait germe dans le sol pour des becs de moineaux ou d'alouettes, mais
non point pour ma bouche. En mastiquant du pain, je vole donc les
oiseaux, comme je vole la belette et le renard en mangeant des poules.
La caille, le pigeon et la perdrix ne sont-ils pas les proies
naturelles de l'epervier; le mouton, le chevreuil et le boeuf, celles
des grands carnassiers, plutot que des viandes engraissees pour nous
etre servies roties avec des truffes qui auraient ete deterrees
specialement pour nous, par les cochons.
Mais, mon cher, les animaux n'ont rien a faire pour vivre ici-bas. Ils
sont chez eux, loges et nourris, ils n'ont qu'a brouter ou a chasser
et a s'entre-manger selon leurs instincts, car Dieu n'a jamais prevu
la douceur et les moeurs pacifiques; il n'a prevu que la mort des
etres acharnes a se detruire et a se devorer.
Quant a nous! Ah! ah! il nous en a fallu du travail, de l'effort, de
la patience, de l'invention, de l'imagination, de l'industrie, du
talent et du genie pour rendre a peu pres logeable ce sol de racines
et de pierres. Mais songe a ce que nous avons fait, malgre la nature,
contre la nature, pour nous installer d'une facon mediocre, a peine
propre, a peine confortable, a peine elegante, pas digne de nous.
Et plus nous sommes civilises, intelligents, raffines, plus nous
devons vaincre et dompter l'instinct animal qui represente en nous la
volonte de Dieu.
Songe qu'il nous a fallu inventer la civilisation, toute la
civilisation, qui comprend tant de choses, tant, tant, de toutes
sortes, depuis les chauss
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