e c'est a lui. S'il etait a toi, est-ce que je
ne l'aurais pas eu depuis longtemps?
Cet argument le frappa comme la verite meme. Dans un de ces eclairs de
pensee ou tous les raisonnements apparaissent en meme temps avec une
illuminante clarte, precis, irrefutables, concluants, irresistibles,
il fut convaincu, il fut sur qu'il n'etait point le pere du miserable
enfant de gueuse qu'elle portait en elle; et, soulage, delivre,
presque apaise soudain, il renonca a detruire cette infame creature.
Alors il lui dit d'une voix plus calme:
--Leve-toi, va-t-en, et que je ne te revoie jamais.
Elle obeit, vaincue, et s'en alla.
Il ne la revit jamais.
Il partit de son cote. Il descendit vers le Midi, vers le soleil, et
s'arreta dans un village, debout au milieu d'un vallon, au bord de la
Mediterranee. Une auberge lui plut qui regardait la mer; il y prit une
chambre et y resta. Il y demeura dix-huit mois, dans le chagrin, dans
le desespoir, dans un isolement complet. Il y vecut avec le souvenir
devorant de la femme traitresse, de son charme, de son enveloppement,
de son ensorcellement inavouable, et avec le regret de sa presence et
de ses caresses.
Il errait par les vallons provencaux, promenant au soleil tamise par
les grisatres feuillettes des oliviers, sa pauvre tete malade ou
vivait une obsession.
Mais ses anciennes idees pieuses, l'ardeur un peu calmee de sa foi
premiere lui revinrent au coeur tout doucement dans cette solitude
douloureuse. La religion qui lui etait apparue autrefois comme un
refuge contre la vie inconnue, lui apparaissait maintenant comme un
refuge contre la vie trompeuse et torturante. Il avait conserve des
habitudes de priere. Il s'y attacha dans son chagrin, et il allait
souvent, au crepuscule, s'agenouiller dans l'eglise assombrie ou
brillait seul, au fond du choeur, le point de feu de la lampe,
gardienne sacree du sanctuaire, symbole de la presence divine.
Il confia sa peine a ce Dieu, a son Dieu, et lui dit toute sa misere.
Il lui demandait conseil, pitie, secours, protection, consolation, et
dans son oraison repetee chaque jour plus fervente, il mettait chaque
fois une emotion plus forte.
Son coeur meurtri, ronge par l'amour d'une femme, restait ouvert et
palpitant, avide toujours de tendresse; et peu a peu, a force de
prier, de vivre en ermite avec des habitudes de piete grandissantes,
de s'abandonner a cette communication secrete des ames devotes avec le
Sauveur qui console et att
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