it, stupidement prolifique, inconscient des combinaisons de
toutes sortes produites par ses germes eparpilles. La pensee humaine
est un heureux petit accident des hasards de ses fecondations, un
accident local, passager, imprevu, condamne a disparaitre avec la
terre, et a recommencer peut-etre ici ou ailleurs, pareil ou
different, avec les nouvelles combinaisons des eternels
recommencements. Nous lui devons, a ce petit accident de
l'intelligence, d'etre tres mal en ce monde qui n'est pas fait pour
nous, qui n'avait pas ete prepare pour recevoir, loger, nourrir et
contenter des etres pensants, et nous lui devons aussi d'avoir a
lutter sans cesse, quand nous sommes vraiment des raffines et des
civilises, contre ce qu'on appelle encore les desseins de la
Providence.
Grandin, qui l'ecoutait avec attention, connaissant de longue date les
surprises eclatantes de sa fantaisie, lui demanda:
--Alors, tu crois que la pensee humaine est un produit spontane de
l'aveugle parturition divine?
--Parbleu! une fonction fortuite des centres nerveux de notre cerveau,
pareille aux actions chimiques imprevues dues a des melanges nouveaux,
pareille aussi a une production d'electricite, creee par des
frottements ou des voisinages inattendus, a tous les phenomenes enfin
engendres par les fermentations infinies et fecondes de la matiere qui
vit.
Mais, mon cher, la preuve en eclate pour quiconque regarde autour de
soi. Si la pensee humaine, voulue par un createur conscient, avait du
etre ce qu'elle est devenue, si differente de la pensee et de la
resignation animales, exigeante, chercheuse, agitee, tourmentee,
est-ce que le monde cree pour recevoir l'etre que nous sommes
aujourd'hui aurait ete cet inconfortable petit parc a bestioles, ce
champ a salades, ce potager sylvestre, rocheux et spherique ou votre
Providence imprevoyante nous avait destines a vivre nus, dans les
grottes ou sous les arbres, nourris de la chair massacree des animaux,
nos freres, ou des legumes crus pousses sous le soleil et les pluies.
Mais il suffit de reflechir une seconde pour comprendre que ce monde
n'est pas fait pour des creatures comme nous. La pensee eclose et
developpee par un miracle nerveux des cellules de notre tete, toute
impuissante, ignorante et confuse qu'elle est et qu'elle demeurera
toujours, fait de nous tous, les intellectuels, d'eternels et
miserables exiles sur cette terre.
Contemple-la, cette terre, telle que Dieu l'a donnee a ceux qui
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