ne de la famille dans le monde.
--Est-ce bizarre? Et on n'a jamais rien dit d'elle?
--Jamais.
--Mais, son mari? Il est singulier, n'est-ce pas?
--Oui et non. Il y a peut-etre eu entre eux un petit drame, un de ces
petits drames de menage qu'on soupconne, qu'on ne connait jamais bien,
mais qu'on devine a peu pres.
--Quoi?
--Je n'en sais rien, moi. Mascaret est grand viveur aujourd'hui, apres
avoir ete un parfait epoux. Tant qu'il est reste bon mari, il a eu un
affreux caractere, ombrageux et grincheux. Depuis qu'il fait la fete,
il est devenu tres indifferent, mais on dirait qu'il a un souci, un
chagrin, un ver rongeur quelconque, il vieillit beaucoup, lui.
Alors, les deux amis philosopherent quelques minutes sur les peines
secretes, inconnaissables, que des dissemblances de caracteres, ou
peut-etre des antipathies physiques, inapercues d'abord, peuvent faire
naitre dans une famille.
Roger de Salins, qui continuait a lorgner Mme de Mascaret, reprit.
--Il est incomprehensible que cette femme-la ait eu sept enfants?
--Oui, en onze ans. Apres quoi elle a cloture, a trente ans, sa
periode de production pour entrer dans la brillante periode de
representation, qui ne semble pas pres de finir.
--Les pauvres femmes!
--Pourquoi les plains-tu?
--Pourquoi? Ah! mon cher, songe donc! Onze ans de grossesses pour une
femme comme ca! quel enfer! C'est toute la jeunesse, toute la beaute,
toute l'esperance de succes, tout l'ideal poetique de vie brillante,
qu'un sacrifice a cette abominable loi de la reproduction qui fait de
la femme normale une simple machine a pondre des etres.
--Que veux-tu? c'est la nature!
--Oui, mais je dis que la nature est notre ennemie, qu'il faut
toujours lutter contre la nature, car elle nous ramene sans cesse a
l'animal. Ce qu'il y a de propre, de joli, d'elegant, d'ideal sur la
terre, ce n'est pas Dieu qui l'y a mis, c'est l'homme, c'est le
cerveau humain. C'est nous qui avons introduit dans la creation, en la
chantant, en l'interpretant, en l'admirant en poetes, en l'idealisant
en artistes, en l'expliquant en savants qui se trompent mais qui
trouvent aux phenomenes des raisons ingenieuses, un peu de grace, de
beaute, de charme inconnu et de mystere. Dieu n'a cree que des etres
grossiers, pleins de germes des maladies, qui, apres quelques annees
d'epanouissement bestial, vieillissent dans les infirmites, avec
toutes les laideurs et toutes les impuissances de la decrepitude
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