e comte est dans la salle a manger.
Elle eut, pendant quelques secondes, la pensee de s'armer d'un petit
revolver qu'elle avait achete quelque temps auparavant, en prevision
du drame qui se preparait dans son coeur. Mais elle songea que tous
les enfants seraient la; et elle ne prit rien, qu'un flacon de sels.
Lorsqu'elle entra dans la salle, son mari, debout pres de son siege,
attendait. Ils echangerent un leger salut, et s'assirent. Alors, les
enfants, a leur tour, prirent place. Les trois fils, avec leur
precepteur, l'abbe Marin, etaient a la droite de la mere; les trois
filles, avec la gouvernante anglaise, Mlle Smith, etaient a gauche.
Le dernier enfant, age de trois mois, restait seul a la chambre avec
sa nourrice.
Les trois filles, toutes blondes, dont l'ainee avait dix ans, vetues
de toilettes bleues, ornees de petites dentelles blanches,
ressemblaient a d'exquises poupees. La plus jeune n'avait pas trois
ans. Toutes, jolies deja, promettaient de devenir belles comme leur
mere.
Les trois fils, deux chatains, et l'aine, age de neuf ans, deja brun,
semblaient annoncer des hommes vigoureux, de grande taille, aux larges
epaules. La famille entiere semblait bien du meme sang, fort et
vivace.
L'abbe prononca le benedicite selon l'usage, lorsque personne n'etait
invite, car, en presence des etrangers, les enfants ne venaient point
a la table. Puis on se mit a diner.
La comtesse, etreinte d'une emotion qu'elle n'avait point prevue,
demeurait les yeux baisses, tandis que le comte examinait tantot les
trois garcons et tantot les trois filles, avec des yeux incertains qui
allaient d'une tete a l'autre, troubles d'angoisses. Tout a coup, en
reposant devant lui son verre a pied, il le cassa, et l'eau rougie se
repandit sur la nappe. Au leger bruit que fit ce leger accident la
comtesse eut un soubresaut qui la souleva sur sa chaise. Pour la
premiere fois ils se regarderent. Alors, de moment en moment, malgre
eux, malgre la crispation de leur chair et de leur coeur, dont les
bouleversait chaque rencontre de leurs prunelles, ils ne cessaient
plus de les croiser comme des canons de pistolet.
L'abbe, sentant qu'une gene existait dont il ne devinait pas la cause,
essaya de semer une conversation. Il egrenait des sujets sans que ses
inutiles tentatives fissent eclore une idee, fissent naitre une
parole.
La comtesse, par tact feminin, obeissant a ses instincts de femme du
monde, essaya deux ou trois fois de lui rep
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