dire La Bruyere, qui mourut d'apoplexie a Versailles, apres avoir
surpasse Theophraste en travaillant d'apres lui et avoir peint les
hommes de notre temps dans ses nouveaux _Caracteres_ d'une maniere
inimitable. C'etoit d'ailleurs un fort honnete homme, de tres-bonne
compagnie, simple, sans rien de pedant et fort desinteresse. Je
l'avois assez connu pour le regretter et les ouvrages que son age et
sa sante pouvoient faire esperer de lui." Boileau se montrait un peu
plus difficile en fait de ton et de manieres que le duc de Saint-Simon,
quand il ecrivait a Racine, 19 mai 1687: Maximilien (_pourquoi ce
sobriquet de Maximilien?_) m'est venu voir a Auteuil et m'a lu quelque
chose de son _Theophraste_. C'est un fort honnete homme a qui il ne
manquerait rien, si la nature l'avoit fait aussi agreable qu'il a
envie de l'etre. Du reste, il a de l'esprit, du savoir et du merite."
Nous reviendrons sur ce jugement de Boileau. La Bruyere etait deja, un
peu a ses yeux un homme des generations nouvelles, un de ceux en qui
volontiers l'on trouve que l'envie d'avoir de l'esprit apres nous, et
autrement que nous, est plus grande qu'il ne faudrait.
[Note 138: J'hesite presque a glisser cette parole de Menage, moins
bon juge: elle concorde pourtant: "Il n'y a pas longtemps que M. de La
"Bruyere m'a fait l'honneur de me venir voir, mais je ne l'ai pas vu
"assez de temps pour le bien connoitre. Il m'a paru que ce _n'etoit "pas
un grand parleur." (_Menagiana_, tome III.)--On a oppose depuis a cette
idee qu'on se faisait jusqu'ici de La Bruyere quelques mots tires de
lettres et billets de M. de Pontchartrain. et desquels il resulterait
que La Bruyere etait sujet a des acces de joie extravagante; c'est peu
probable. Dans la disette des documents, on tire les moindres mots
par les cheveux. Mais enfin il parait bien qu'il etait tres-gai par
moments.]
Ce meme Saint-Simon, qui regrettait La Bruyere et qui avait plus d'une
fois cause avec lui[139], nous peint la maison de Conde et M. le Duc en
particulier, l'eleve du philosophe, en des traits qui reflechissent sur
l'existence interieure de celui-ci. A propos de la mort de M. le Duc
(1710), il nous dit avec ce feu qui mele tout, et qui fait tout voir a
la fois: "Il etoit d'un jaune livide, l'air presque toujours furieux,
mais en tout temps si fier, si audacieux, qu'on avoit peine a
s'accoutumer a lui. Il avoit de l'esprit, de la lecture, des restes
d'une excellente education (_je le crois bien_),
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