livre meme fit lever devant lui,
des originaux qui d'eux-memes se livrerent, enrichirent et accomplirent
de mille facons le chef-d'oeuvre. La premiere edition renferme surtout
incomparablement moins de portraits que les suivantes. L'excitation
et l'irritation de la publicite les firent naitre sous la plume de
l'auteur, qui avait principalement songe d'abord a des reflexions et
remarques morales, s'appuyant meme a ce sujet du titre de _Proverbes_
donne au livre de Salomon. Les _Caracteres_ ont singulierement gagne aux
additions; mais on voit mieux quel fut le dessein naturel, l'origine
simple du livre et, si j'ose dire, son accident heureux, dans cette
premiere et plus courte forme [143].
En le faisant naitre en 1644, La Bruyere avait quarante-trois ans en 87.
Ses habitudes etaient prises, sa vie reglee; il n'y changea rien. La
gloire soudaine qui lui vint ne l'eblouit pas; il y avait songe de
longue main, l'avait retournee en tous sens, et savait fort bien qu'il
aurait pu ne point l'avoir et ne pas valoir moins pour cela. Il avait
dit des sa premiere edition: "Combien d'hommes admirables et qui avoient
de tres-beaux genies sont morts sans qu'on en ait parle! Combien vivent
encore dont on ne parle point et dont on ne parlera jamais!" Loue,
attaque, recherche, il se trouva seulement peut-etre un peu moins
heureux apres qu'avant son succes, et regretta sans doute a certains
jours d'avoir livre au public une si grande part de son secret. Les
imitateurs qui lui survinrent de tous cotes, les abbes de Villiers, les
abbes de Bellegarde, en attendant les Brillon, Alleaume et autres, qu'il
ne connut pas et que les Hollandais ne surent jamais bien distinguer de
lui[144], ces auteurs _nes copistes_ qui s'attachent a tout succes comme
les mouches aux mets delicats, ces _Trublets_ d'alors, durent par
moments lui causer de l'impatience: on a cru que son conseil a un auteur
_ne copiste_ (chap. _des Ouvrages de l'Esprit_), qui ne se trouvait pas
dans les premieres editions, s'adressait a cet honnete abbe de Villiers.
Recu a l'Academie le 15 juin 1693, epoque ou il y avait deja eu en
France sept editions des Caracteres, La Bruyere mourut subitement
d'apoplexie en 1696 et disparut ainsi en pleine gloire, avant que les
biographes et commentateurs eussent avise encore a l'approcher, a le
saisir dans sa condition modeste et a noter ses reponses[145]. On lit dans
la note manuscrite de la bibliotheque de l'Oratoire, citee par Adry,
que madame
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