Garat sur Suard, p.
268 et suiv., avec quel a-propos celui-ci cita et commenta un jour le
chapitre des _Grands_ dans le salon de M. De Vaines.]
La Bruyere fournirait a des choix piquants de mois et de pensees qui se
rapprocheraient avec agrement de pensees presque pareilles de nos
jours. Il en a sur le coeur et les passions surtout qui rencontrent a
l'improviste les analyses interieures de nos contemporains. J'avais note
un endroit ou il parle des jeunes gens, lesquels, a cause des passions
_qui les amusent_, dit-il, supportent mieux la solitude que les vieil"
lards, et je rapprochais sa remarque d'un mot de _Lelia_ sur les
promenades solitaires de Stenio. J'avais note aussi sa plainte sur
l'infirmite du coeur humain trop tot console, qui manque _de sources
inepuisables de douleur pour certaines pertes_, et je la rapprochais
d'une plainte pareille dans _Atala_. La reverie, enfin, a cote des
personnes qu'on aime, apparait dans tout son charme chez La Bruyere.
Mais, bien que, d'apres la remarque de Fabre, La Bruyere ait dit que_ le
choix des pensees est invention_, il faut convenir que cette invention
est trop facile et trop seduisante avec lui pour qu'on s'y livre sans
reserve.--En politique, il a de simples traits qui percent les epoques
et nous arrivent comme des fleches: "Ne penser qu'a soi et au present,
source d'erreur en politique."
Il est principalement un point sur lequel les ecrivains de notre temps
ne sauraient trop mediter La Bruyere, et sinon l'imiter, du moins
l'honorer et l'envier. Il a joui d'un grand bonheur et a fait preuve
d'une grande sagesse: avec un talent immense, il n'a ecrit que pour dire
ce qu'il pensait; le mieux dans le moins, c'est sa devise. En parlant
une fois de madame Guizot, nous avons indique de combien de pensees
memorables elle avait parseme ses nombreux et obscurs articles, d'ou
il avait fallu qu'une main pieuse, un oeil ami, les allat discerner
et detacher. La Bruyere, ne pour la perfection dans un siecle qui la
favorisait, n'a pas ete oblige de semer ainsi ses pensees dans des
ouvrages de toutes les sortes et de tous les instants; mais plutot il
les a mises chacune a part, en saillie, sous la face apparente, et comme
on piquerait sur une belle feuille blanche de riches papillons etendus.
"L'homme du meilleur esprit, dit-il, est inegal...; il entre en verve,
mais il en sort: alors, s'il est sage, il parle peu, il n'ecrit
point... Chante-t-on avec un rhume? Ne faut-il pas attendre
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