les amants d'alors, tout cela avait vecu, combien pour de
jeunes coeurs, aujourd'hui eteints ou refroidis, cette legere poesie
avait ete une fois la musique de l'ame, et comment on avait use de ces
chants aussi pour charmer et pour aimer. C'etait le temps de la mode
d'Ossian et d'un Charlemagne enjolive, le temps de la fausse Gaule
poetique bien avant Thierry, des Scandinaves bien avant les cours
d'Ampere, de la ballade avant Victor Hugo; c'etait le style de 1813 ou
de la reine Hortense, _le beau Dunois_ de M. Alexandre de Laborde, le
_Vous me quittez pour aller a la gloire_ de M. de Segur. Millevoye paya
tribut a ce genre, il en fut le poete le plus orne, le plus melodieux.
Son fabliau d'_Emma_ et d'_Eginhard_ offre toute une allusion
chevaleresque aux moeurs de 1812, sur ce ton. Il nous y montre la vierge
au depart du chevalier,
Priant tout haut qu'il revienne vainqueur,
Priant tout bas qu'il revienne fidele[161].
[Note 161: Tibulle avait dit, Elegie premiere, livre II:
Vos celebrem cantate Deum, pecorique vocate
Voce, palam pecori, clam sibi quisque vocet.
Le premier et le plus grand exemple de ce genre d'arriere-pensee, de
cette duplicite de sentiments, non plus seulement gracieuse, mais
pathetique et touchante, se rencontre dans Homere au chant XIX de
_l'Iliade_, quand les captives conduites par Briseis se lamentent autour
du corps de Patrocle, "tout haut sur Patrocle, mais au fond chacune sur
soi-meme et sur son propre malheur."]
Il y a loin de la a _la Neige_, qui est le meme sujet traite par M. de
Vigny dans un tout autre style, dans un gout rare et, je crois, plus
durable, mais qui a aussi sa teinte particuliere de 1824, c'est-a-dire
le precieux.
Parmi les romances de Millevoye, les amateurs distinguent, pour la
tendresse du coloris et de l'expression, celle de _Morgane_ (dans le
poeme de _Charlemagne_); la fee y rappelle au chevalier la bonheur du
premier soir:
L'anneau d'azur du serment fut le gage:
Le jour tomba; l'astre mysterieux
Vint argenter les ombres du bocage,
Et l'univers disparut a nos yeux.
Je recommanderai encore, d'apres mon ami qui la chantait a ravir, la
romance intitulee _le Tombeau du Poete persan_, et ce dernier couplet ou
la fille du poete expire sous le cypres paternel:
Sa voix mourante a son luth solitaire
Confie encore un chant delicieux,
Mais ce doux chant, commence sur la terre,
Devait, helas! s'achever dans les cieux.
Il y a certes da
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