me figure que bien
des journees de Le Sage, de l'abbe Prevost vieillissant, se passaient
ainsi. Les travaux meme non voulus, les heures assujetties dont on
se plaint, gardent au fond plus d'un correctif aimable, bien des
enchantements secrets. A en juger par les fruits plus savoureux en
avancant, il faut croire que la fatigue interieure et trop reelle se
trompe, s'elude, dans la production, par de certains charmes. Je ne sais
quel penseur misanthropique a dit, en facon de recette et de conseil:
"Un peu d'amertume dans les talents sur l'age est comme quelque chose
d'astringent qui donne du ton." Assez d'ecrivains eminents en ont eu de
reste: ils n'ont pas menage cette dose d'astringent; Nodier, lui, en
manque tout a fait, et pourtant sa veine de talent a plutot gagne, elle
s'est comme echauffee d'une douce chaleur, en deployant au couchant
la diversite de ses teintes. Si de tout temps il y eut en sa maniere
quelque chose qui est le contraire de la condensation, ces qualites
elargies n'ont pas depasse la mesure en se continuant, et elles ont
rencontre, pour y jouer, des cadres de mieux en mieux assortis. Toutes
les fois qu'il reproduit des souvenirs ou des songes de sa jeunesse,
Nodier ecrivain reprend une seve plus montante et plus coloree.
_Seraphine_, _Amelie_, la fleur de ces recits heureux, l'ont assez
prouve: qu'on y ajoute la premiere partie d'_Ines_, on aura le plus
parfait et le dernier mot de sa maniere. Qu'on ne dedaigne pas non plus,
comme echantillon final, deux ou trois dissertations de bibliophile, ou,
sous pretexte de bouquins poudreux, il butine le joli et le fin: il y a
tel petit extrait sur la _reliure_ moderne, qui commence, a la lettre,
par un hymne au rossignol[188].
[Note 188: Depuis sa mort, on a fait un tout petit volume d'une
derniere nouvelle de lui, intitulee _Franciscus Columna_, ou il se
retrouve tout entier sous sa double forme; c'est un coin de roman loge
dans un cadre de bibliographie, une fleur toute fraiche conservee entre
les feuillets d'un vieux livre.]
En 1832, ses oeuvres completes, et pourtant choisies encore, parurent
pour la premiere fois, et vinrent deployer, en une serie imposante,
les titres jusqu'alors epars d'une renommee qui des longtemps ne se
contestait plus. En 1834, l'Academie francaise, reparant de trop longs
delais, le choisit a l'unanimite en remplacement de M. Laya. Nodier, qui
s'etait pris tant de fois de raillerie au celebre corps, fut saisi d'une
joie toute n
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