un baiser.
Ah! s'il versait longtemps, le prisme heureux des songes,
Sur mes yeux eblouis ses eclairs decevants!
S'il ne s'eteignait pas, ce bonheur des mensonges,
Dans le neant des jours ou souffrent les vivants!
Ou si la mort etait ce que mon coeur envie,
Quelque sommeil bien long, d'un long reve charme,
La nuit des jours passes, le songe de la vie!
Quel bonheur de mourir pour etre encore aime!...
Ainsi pensait-il depuis que s'etaient enfuies les belles annees dans
lesquelles le poete s'accoutume trop a enfermer tout son destin. Le
souvenir, la reminiscence, le songe, venaient donc a son aide, et lui
obeissaient au moindre signe, comme des esprits familiers et consolants.
Plus d'une fois, nous l'avons vu, le matin, a quelque reunion d'amis
a laquelle il etait convie et dont il etait l'ame: il arrivait
au rendez-vous, fatigue, pali, se trainant a peine; aux bonjours
affectueux, aux questions empressees, il ne repondait d'abord que par
une plainte, par une pensee de mort qu'on avait hate d'etouffer. La
reunion etait complete, on s'asseyait: c'est alors qu'il s'animait par
degres, que sa parole facile, elegante, retrouvait ses accents vibrants
et doux, que le souvenir evoquait en lui les Ombres de ce passe charmant
qu'il redemandait tout a l'heure au sommeil; le conteur-poete etait
devant nous; nous possedions Nodier encore une fois tout entier. Depuis
des annees, il avait si souvent parle de la mort, et nous l'avions en
toute rencontre retrouve si vivant par l'esprit qu'on ne pouvait se
figurer qu'il ne s'exagerat pas un peu ses maux, et a lui aussi on
pourrait appliquer ce qu'on disait de M. Michaud, que la duree meme
de nos craintes refaisait a la longue nos esperances. On etait tente
surtout de repeter avec M. Alfred de Musset:
Ami, toi qu'a pique l'abeille,
Ton coeur veille,
Et tu n'en saurais ni guerir,
Ni mourir.
Mais non, il y avait plus que la piqure de l'abeille; l'aiguillon fatal
etait la. C'est trop longtemps insister et nous complaire a de gracieux
retours que la gravite de la fin derniere vient couvrir et dominer.
Nodier est mort en homme des esperances immortelles, en homme religieux
et en chretien. Ces idees, ces croyances du berceau et de la tombe,
etaient de tout temps demeurees presentes a son imagination, a son
coeur. Entoure de la famille la plus aimable et la plus aimee, d'une
famille que l'adoption des longtemps n'avait pas craint de faire plus
nombreuse, de se
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