e frequentait avec assiduite la maison de
Guillaume Colletet, pere du rimeur crotte et famelique, depuis fustige
par Boileau. Ce Guillaume Colletet, singulierement enclin, selon
l'expression de Menage, aux amours _ancillaires_, avait epouse, l'une
apres l'autre, trois de ses servantes, et en etait, pour le moment, a
sa troisieme et derniere, appelee Claudine, dont la beaute, jointe a la
reputation d'esprit que lui faisait son mari debonnaire, attirait chez
elle une foule d'adorateurs. Comme on y causait beaucoup litterature, et
que Colletet avait une connaissance particuliere et un amour ardent de
nos vieux poetes[197], La Fontaine ne dut pas moins retirer d'instruction
aupres de l'epoux que d'agrement aupres de la dame. Je suis sur que plus
tard il lui arriva de regretter la table du bon Colletet, ou, avec
bien d'autres licences, il avait celle d'admirer a son aise Cretin,
Coquillart, Guillaume Alexis, Martial d'Auvergne, Saint-Gelais, d'Urfe,
voire meme Ronsard[198], sans craindre les bourrasques de Boileau. Et
Racine, le doux et tendre Racine, qui avait plus d'un faible de commun
avec La Fontaine, n'etait-il pas oblige aussi de se cacher de Boileau,
pour oser rire des faceties de Scarron?
[Note 197: Colletet avait ete l'un des cinq auteurs qui formaient le
conseil litteraire de Richelieu; et, grace aux largesses du cardinal, il
avait pu acheter dans le faubourg Saint-Marceau, tout a cote de l'ancien
logement de Baif, une maison que Ronsard avait autrefois habitee;
circonstances glorieuses qu'il ne se lassait pas de rememorer. Il y
eut un moment ou les deux Colletet pere et fils, et la belle-mere de
celui-ci, la _belle-maman_, comme il disait, se faisaient a qui mieux
mieux en madrigaux les honneurs du Parnasse: ce qui devait preter assez
matiere aux rieurs du temps (_Memoires de Critique et de Litterature_,
par d'Artigny, tome VI).]
[Note 198: Il faut avouer pourtant que le nom de Ronsard, pour le peu
qu'il se trouve chez La Fontaine, n'y figure guere autrement ni mieux
que chez les autres contemporains; dans une lettre de lui a Racine
(1686), on lit: _Ronsard est dur, sans gout, sans choix_, etc.; et
il lui oppose Racan, si elegant et agreable malgre son ignorance. La
Fontaine, qui se laissait dire beaucoup de choses aisement, avait
pour lors adopte sur Ronsard l'opinion courante, et un peu oublie ce
qu'autrefois le vieux Colletet lui avait du en raconter.]
Nous n'avons pas l'intention de suivre plus longtemps
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