lus aussi son talent gagna en
vigueur, en louable et libre emploi. Nomme il y a dix ans a l'Academie
francaise, il y trouva une carriere toute preparee et enfin reguliere
pour ses facultes serieuses, pour ses etudes les plus cheries. Ce qu'il
avait entrepris et deja execute de travaux et d'articles pour le nouveau
Dictionnaire historique de la langue francaise ne saurait etre apprecie
en ce moment que de ceux qui en ont entendu la lecture; ce qui est bien
certain, c'est qu'il gardait, jusque dans des sujets en apparence
voues au technique et a une sorte de secheresse, toute la grace et la
fertilite de ses developpements; il n'avait pas seulement la science de
la philologie, il en avait surtout la muse[192].
[Note 192: On a raconte une anecdote assez piquante: Nodier lisait
dans une seance particuliere de l'Academie l'article _Abolition_ du
Dictionnaire: "Abolition, substantif feminin, etc., etc...; prononcez
_abolicion._--"Votre derniere remarque me parait inutile, dit un
academicien present, car on sait bien que devant l'_i_ le _t_ a toujours
le son du _c_."--"Mon cher confrere, ayez _picie_ de mon ignorance,
repond Nodier en appuyant sur chaque mot, et faites-moi l'_amicie_ de me
repeter la _moicie_ de ce que vous venez de me dire." On juge de
l'eclat de rire universel qui saisit la docte assemblee; on ajoute que
l'academicien refute (M. de Feletz) en prit gaiement sa part.]
Pour nous qui ne le jugions que par le dehors, il ne nous a jamais paru
plus fecond d'idees, plus inepuisable d'apercus, plus sur de sa plume
toujours si flexible et si legere, qu'en ces dernieres annees et dans
les morceaux memes dont il enrichissait nos recueils, fiers a bon droit
de son nom. Il avait acquis avec l'age assez d'autorite, ou, si ce mot
est trop grave pour lui, assez de faveur universelle pour se permettre
franchement l'attaque contre quelques-uns de nos travers, ou peut-etre
de nos progres les plus vantes. Le docteur _Neophobus_ ne s'y epargnait
pas, et ceux meme qui se trouvaient atteints en passant ne lui
gardaient pas rancune. Le propre de Nodier, son vrai don, etait d'etre
inevitablement aime. Il faut lui savoir gre pourtant, un gre serieux,
d'avoir, en plus d'une circonstance, oppose aux abus litteraires cette
expression franche, cette contradiction independante qui, dans une
nature de conciliation et d'indulgence comme la sienne, avait tout son
prix.
Le dernier morceau qu'il ait donne a cette _Revue_, le dernier acte de
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