aive et attendrie en y entrant. Aucun autre discours de
recipiendaire ne respire peut-etre, a l'egal du sien, l'expansion sentie
de la reconnaissance. Il la prouva surtout par un devouement sans
reserve a ses devoirs d'academicien: le Dictionnaire futur n'a pas de
fondateur plus absorbe ni plus amuse que lui. Et qui donc serait plus
capable, en effet, de suivre en buissonnant l'histoire et les aventures
de chaque mot a travers la langue? Odyssee pour Odyssee, celle-la, a ses
yeux, en vaut bien une autre. Revenu de tout, il s'anime d'autant plus,
il se passionne, en sceptique qu'on croirait credule, a ces menues
questions de vocabulaire, d'etymologie, d'orthographe; prenez garde!
elles ne sont, dans la bouche du Lucien au fin sourire, qu'une facon
detournee et bienveillante d'ironie universelle. Ainsi souvent il se
delasse de l'ennui de trop penser. Il s'en delasse a moins de frais,
avec une plus vraie douceur, en famille, les soirs, en cet Arsenal
rajeunissant, ou tous ceux qui y reviennent apres des annees retrouvent
un passe encore present, un frais sentiment d'eux-memes, et des
souvenirs qui semblent a peine des regrets, dans une atmosphere de
poesie, de grace et d'indulgence.
1er Mai 1840.
CHARLES NODIER
APRES LES FUNERAILLES[189].
[Note 189: Nodier est mort le 27 janvier 1844. Les pages suivantes
parurent quelques jours apres, dans la _Revue des Deux Mondes_.]
La mort est a l'oeuvre et frappe coup sur coup. Hier la tombe se fermait
sur Casimir Delavigne, elle s'ouvre aujourd'hui pour Charles Nodier. La
litterature contemporaine, qu'on dit si eparse et sans drapeau, ne se
donne plus rendez-vous qu'a de funebres convois. La mort de Charles
Nodier n'a pas semble moins prematuree que celle de Casimir Delavigne;
et quoiqu'il eut passe le terme de soixante ans, ce qui est toujours un
long age pour une vie si remplie de pensees et d'emotions, on ne peut,
quand on l'a connu, c'est-a-dire aime, s'oter de l'idee qu'il est
mort jeune. C'est que Nodier l'etait en effet; une certaine jeunesse
d'imagination et de poesie a revetu jusqu'au bout chacune de ses
paroles, chaque ligne echappee de lui; le souffle leger ne l'a pas
quitte un instant. Quand il n'etait point brise par la fatigue et
succombant a la defaillance, il se relevait aussitot et redevenait le
Nodier de vingt ans par la verve, par le jeu de la physionomie et le
geste, meme par l'attitude. Il y a de ces organisations elancees et
gracieuses qui ressemblen
|