oye n'avait pas de passions litteraires, il en eut encore moins
de politiques. Le bon M. Dumas, son biographe sous la Restauration, a
essaye de faire de lui un pieux Francais devoue au trone legitime. Un
autre biographe, apres 1830 il est vrai, M. de Pongerville, a voulu nous
le montrer comme un fidele de l'Empire. Millevoye avait chante l'un, et
commencait a feter l'autre. Il aimait la France, mais il n'avait, de
bonne heure, ravi aucune des flammes de nos orages; le Dieu pour lui,
comme dans l'Eglogue, etait le Dieu qui faisait des loisirs: en tout, un
poete elegiaque.
Millevoye s'etait marie dans son pays vers 1813; epoux et pere, sa vie
semblait devoir se poser. Un jour qu'il avait a diner quelques amis a
Epagnette, pres d'Abbeville, une discussion s'engagea pour savoir si le
clocher qu'on apercevait dans le lointain etait celui du Pont-Remi ou
de Long, deux prochains villages. Obeissant a l'une de ces promptes
saillies comme il en avait, le poete se leva de table a l'instant, et
dit de seller son cheval pour faire lui-meme cette reconnaissance, cette
espece de course au clocher. Mais a peine etait-il en route, que le
cheval, qu'il n'avait pas monte depuis longtemps, le renversa. Il eut
le col du femur casse, et le traitement, la fatigue qui s'ensuivit,
determinerent la maladie de poitrine dont il mourut, le 12 aout 1816. Il
avait passe les six dernieres semaines a Neuilly, et ne revint a Paris
que tout a la fin; la veille de sa mort, il avait demande et lu des
pages de Fenelon.
Son souvenir est reste interessant et cher; ce qui a suivi de brillant
ne l'a pas efface. Toutes les fois qu'on a a parler des derniers eclats
harmonieux d'une voix puissante qui s'eteint, on rappelle le chant du
cygne, a dit Buffon. Toutes les fois qu'on aura a parler des premiers
accords doucement expirants, signal d'un chant plus melodieux, et
comme de la fauvette des bois ou du rouge-gorge au printemps avant le
rossignol, le nom de Millevoye se presentera. Il est venu, il a fleuri
aux premieres brises; mais l'hiver recommencant l'a interrompu. Il a sa
place assuree pourtant dans l'histoire de la poesie francaise, et sa
_Chute des Feuilles_ en marque un moment.
1er Juin 1837.
DES SOIREES LITTERAIRES
ou
LES POETES ENTRE EUX.
Les soirees litteraires, dans lesquelles les poetes se reunissent pour
se lire leurs vers et se faire part mutuellement de leurs plus fraiches
premices, ne sont pas du tout une singularite de notre te
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