mps. Cela s'est
deja passe de la sorte aux autres epoques de civilisation raffinee;
et du moment que la poesie, cessant d'etre la voix naive des races
errantes, l'oracle de la jeunesse des peuples, a forme un art ingenieux
et difficile, dont un gout particulier, un tour delicat et senti,
une inspiration melee d'etude, ont fait quelque chose d'entierement
distinct, il a ete bien naturel et presque inevitable que les hommes
voues a ce rare et precieux metier se recherchassent, voulussent
s'essayer entre eux et se dedommager d'avance d'une popularite
lointaine, desormais fort douteuse a obtenir, par une appreciation
reciproque, attentive et complaisante. En Grece, en cette patrie
longtemps sacree des Homerides, lorsque l'age des vrais grands hommes et
de la beaute severe dans l'art se fut par degres evanoui, et qu'on
en vint aux mille caprices de la grace et d'une originalite combinee
d'imitation, les poetes se rassemblerent a l'envi. Fuyant ces brutales
revolutions militaires qui bouleversaient la Grece apres Alexandre,
on les vit se blottir, en quelque sorte, sous l'aile pacifique des
Ptolemees; et la ils fleurirent, ils brillerent aux yeux les uns des
autres; ils se composerent en pleiade. Et qu'on ne dise pas qu'il n'en
sortit rien que de maniere et de faux; le charmant Theocrite en etait.
A Rome, sous Auguste et ses successeurs, ce fut de meme. Ovide avait a
regretter, du fond de sa Scythie, bien des succes litteraires dont il
etait si vain, et auxquels il avait sacrifie peut-etre les confidences
indiscretes d'ou la disgrace lui etait venue. Stace, Silius, et ces
_mille et un_[163] auteurs et poetes de Rome dont on peut demander les
noms a Juvenal, se nourrissaient de lectures, de reunions, et les tiedes
atmospheres des soirees d'alors, qui soutenaient quelques talents
timides en danger de mourir, en faisaient pulluler un bon nombre de
mediocres qui n'aurait pas du naitre. Au Moyen-Age, les troubadours nous
offrent tous les avantages et les inconvenients de ces petites
societes directement organisees pour la poesie: eclat precoce, facile
efflorescence, ivresse gracieuse, et puis debilite, monotonie et fadeur.
En Italie, des le XIVe siecle, sous Petrarque et Boccace, et, plus tard,
au XVe au XVIe, les poetes se reunirent encore dans des cercles a demi
poetiques, a demi galants, et l'usage du sonnet, cet instrument si
complique a la fois et si portatif, y devint habituel. Remarquons
toutefois qu'au XIVe siecle, du temps
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