ete une oreille amie et cependant severe.
Cette severite, hors de mise en plus nombreuse compagnie, et qui a tant
de prix quand elle se trouve melee a une sympathie affectueuse, ne doit
jamais tourner trop exclusivement a la critique litteraire. Boileau,
dans le cours de la touchante et grave amitie qu'il entretint avec
Racine, eut sans doute le tort d'effaroucher souvent ce tendre genie.
S'il avait exerce le meme empire et la meme direction sur La Fontaine,
qu'on songe a ce qu'il lui aurait retranche! L'ami du poete, le
_confident de ses jeunes mysteres_, comme a dit encore Chenier, a besoin
d'entrer dans les menagements d'une sensibilite qui ne se decouvre a lui
qu'avec pudeur et parce qu'elle espere au fond un complice. C'est un
faible en ce monde que la poesie; c'est souvent une plaie secrete qui
demande une main legere: le gout, on le sent, consiste quelquefois a se
taire sur l'expression et a laisser passer. Pourtant, meme dans ces
cas d'une poesie tout intime et mouillee de larmes, il ne faudrait pas
manquer a la franchise par fausse indulgence. Qu'on ne s'y trompe pas:
les douleurs celebrees avec harmonie sont deja des blessures a peu pres
cicatrisees, et la part de l'art s'etend bien avant jusque dans les plus
reelles effusions d'un coeur qui chante. Et puis les vers, une fois
faits, tendent d'eux-memes a se produire; ce sont des oiseaux longtemps
couves qui prennent des ailes et qui s'envoleront par le monde un matin.
Lors donc qu'on les expose encore naissants au regard d'un ami, il doit
etre toujours sous-entendu qu'on le consulte, et qu'apres votre premiere
emotion passee et votre rougeur, il y a lieu pour lui a un jugement.
Quelques amities solides et variees, un petit nombre d'intimites au sein
des etres plus rapproches de nous par le hasard ou la nature, intimites
dont l'accord moral est la supreme convenance; des liaisons avec les
maitres de l'art, etroites s'il se peut, discretes cependant, qui ne
soient pas des chaines, qu'on cultive a distance et qui honorent;
beaucoup de retraite, de liberte dans la vie, de comparaison rassise et
d'elan solitaire, c'est certainement, en une societe dissoute ou factice
comme la notre, pour le poete qui n'est pas en proie a trop de gloire ni
adonne au tumulte du drame, la meilleure condition d'existence heureuse,
d'inspiration soutenue et d'originalite sans melange. Je me figure que
Manzoni en sa Lombardie, Wordsworth reste fidele a ses lacs, tous deux
profonds et p
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