vait pu confondre par endroits avec les alanguissements inevitables dus
a la fatigue d'ecrire beaucoup, a la necessite d'ecrire toujours. Nombre
de ses images, qui expriment des nuances, des eclairs, des mouvements
presque inexprimables (comme celle du goeland qui tombe, citee plus
haut), etaient faites pour illustrer et couronner l'audace; et, dans une
Poetique de l'ecole moderne, si on avait pris soin de la dresser, nul
peut-etre n'aurait apporte un plus riche contingent d'exemples. Le petit
volume de Poesies qu'il publia en 1827 vint montrer tout ce qu'il aurait
pu, s'il avait concentre ses facultes de grace et d'harmonie en un seul
genre, et combien cette admiration fraternelle qu'il prodiguait autour
de lui etait negligente d'elle-meme et de ses propres tresors par trop
dissipes. Deux ou trois tendres elegies, quelques chansonnettes
nees d'une larme, surtout des contes delicieux dates d'epoques deja
anciennes, firent comprendre avec regret que, si elle y avait plus tot
songe, il y aurait eu la en vers une nouvelle muse. Mais, avant tout, un
degout bien vrai de la gloire, un pur amour du reve y respiraient:
Loue soit Dieu! puisque dans ma misere,
De tous les biens qu'il voulut m'enlever,
Il m'a laisse le bien que je prefere:
O mes amis, quel plaisir de rever,
De se livrer au cours de ses pensees,
Par le hasard l'une a l'autre enlacees,
Non par dessein: le dessein y nuirait!
L'heureux loisir qui delasse ma vie
Perd de son charme en perdant son secret;
Il est volage, irregulier, distrait;
Le nonchaloir ajoute a son attrait,
Et sa douceur est dans sa fantaisie.
On se neglige, il semble qu'on s'oublie,
Et cependant on se possede mieux.
On doit alors a la bonte des Dieux
Deux attributs de leur grandeur supreme;
Car on existe, on est tout par soi-meme,
Et l'on embrasse et les temps et les lieux.
En fait de biens chacun a son systeme,
Desquels le moindre a du prix a mon gre:
Si l'un pourtant doit etre prefere,
Jouir est bon, mais c'est rever que j'aime[184].
[Note 184: _Le Fou du Piree_, conte._
La clarte facile et la grace melodieuse distinguent ce petit nombre de
vers de Nodier; et il s'etend meme assez souvent avec complaisance sur
ce chapitre des qualites naturelles, pour qu'on y puisse voir sans
malice une lecon insinuante a ses jeunes amis. En homme revenu et sage,
il se faisait toutes les objections; en ami chaud, il ne les disait pas.
Voici une piece de lui p
|