aire genie dont
nous parlons. Charles-Emmanuel Nodier doit etre ne a Besancon le 29
avril 1780, si tant est qu'il s'en souvienne rigoureusement lui-meme;
le contrariant Querard le fait naitre en 1783 seulement; Weiss, son ami
d'enfance, le suppose ne en 1781. Ce point initial n'est donc pas encore
parfaitement eclairci, et je le livre aux elucubrations des Mathanasius
futurs. Son pere, avocat distingue, avait ete de l'Oratoire et avait
professe la rhetorique a Lyon. Il fut le premier et longtemps l'unique
maitre de ce fils adore (fils naturel, je le crois), dont l'education
ainsi resta presque entierement privee et qui ne parut au college que
dans les classes superieures. Le jeune Nodier suivit pourtant a Besancon
les cours de l'Ecole centrale et fut eleve de M. Ordinaire, de M. Droz.
Ses relations avec le moine Schneider, telles qu'il s'est plu a nous
les peindre, ne sont-elles pas une reflexion fort elargie, une pure
refraction du souvenir a distance au sein d'une vaste et mobile
imagination? Nous nous garderions bien, quand nous le pourrions, de
chercher a suivre le reel biographique dans ce qui est surtout vrai
comme impression et comme peinture, et d'y decolorer a plaisir ce que le
charmant auteur a si richement fondu et deploye. Ce que nous demandons
a l'enfance et a la jeunesse de Nodier, c'est moins une suite de faits
positifs et d'incidents sans importance que ses emotions memes et ses
songes; or, de sa part, les souvenirs legerement _romances_ nous les
rendent d'autant mieux.
Les premiers sentiments du jeune Nodier le pousserent tout a fait dans
le sens de la Revolution. Son pere fut le second maire constitutionnel
de Besancon; M. Ordinaire avait ete le premier. L'enfant, des onze ou
douze ans, prononcait des discours au club. Une deputation de ce club de
Besancon alla rendre visite au general Pichegru qui avait repousse les
Autrichiens, du cote de Strasbourg: l'enfant fut de la partie; deux
commissaires le demanderent a son pere: "Donnez-nous-le, nous le ferons
voyager!" Pichegru lui fit accueil et l'assit meme sur ses genoux, car
l'enfant, tres-jeune, etait de plus tres-mince et petit, il n'a grandi
que tard. Il passa ainsi trois ou quatre jours au quartier-general et
partagea le lit d'un aide de camp. Cette excursion fut feconde pour sa
jeune ame; mille tableaux s'y graverent, mille couleurs la remplirent.
Il put dire avec orgueil: Pichegru m'a aime. Mais lorsqu'ensuite, dans
son culte enthousiaste, il s'o
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