apporte
ma liberte. Demain l'usage en serait peut-etre terrible. Quiconque a pu
beaucoup aimer, peut hair avec exces, et mon temps est venu.
"Je m'appelle Charles Nodier.
"Je loge hotel Berlin, rue des Frondeurs."
L'adresse, digne de la lettre, est: "Au Premier Consul, et, en son
lieu, a l'un des prefets du Palais." La date est du 25 frimaire an XII
(decembre 1803); ce qui fait remonter la date de _la Napoleone_ a 1801.
On concoit que, sur le vu de cette lettre, il ait ete donne un ordre du
Grand-Juge "de faire rechercher l'auteur qui prend le nom de Nodier,
de l'interroger sur ses motifs pour ecrire et sur les projets qu'il
pourrait avoir."
Je reviendrai peut-etre un jour sur ce fol episode, si j'en viens a
traiter le Nodier reel et a le suivre de plus pres.]
[Note 178: M. Merimee, successeur de Nodier a l'Academie, et qui,
ayant a prononcer son Eloge, s'en est acquitte un peu ironiquement, a
dit en parlant de cette epoque de sa vie ou il etait peut-etre moins
persecute qu'il ne se l'imaginait: "Il croyait fuir les gendarmes et
poursuivait les papillons."]
En 1806, son mandat d'arret fut leve et converti en un permis de sejour
a Dole, sous la surveillance du sous-prefet, M. de Roujoux, homme
aimable, instruit, qui preparait des lors son estimable essai des
_Revolutions des Arts et des Sciences_. Nodier y connut beaucoup
Benjamin Constant, qui avait a Dole une partie de sa famille: leurs
esprits souples et brillants, leurs sensibilites promptes et a demi
brisees devaient du premier coup s'enlacer et se convenir. Il ouvrit un
cours de litterature qui fut tres-suivi, et s'il avait laisse le
temps aux preventions politiques de s'effacer, l'Universite aurait
probablement fini par l'accueillir. Le prefet Jean de Bry lui portait
interet; le ministre Fouche associait son nom a des souvenirs
oratoriens. Ces annees ne furent donc pas absolument malheureuses,
les sentiments consolants de la jeunesse les embellissaient, et de
frequentes tournees au village de Quintigny, qui recelait pour son coeur
une esperance charmante, lui decoraient l'avenir. Il revait de faire
une _Flore_ du Jura; il revait mieux, une vie heureuse, domestique,
studieuse, sous l'humble toit verdoyant. Il a exprime lui-meme ces
poetiques douceurs d'alors a quelques annees de la, lorsque dans son
exil d'Illyrie il se reportait avec une plainte melodieuse vers les
saisons deja regrettables:
Qui me rendra l'aspect des plantes familieres,
Mes
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