e de couleurs si
vivantes en mainte page de ses _Souvenirs_. Il suffira de nous rabattre
a quelques points precis et moins illustres. En 1802, _la Napoleone_,
dont les copies se multiplierent a l'infini, et une foule de petits
ecrits seditieux qui s'imprimaient clandestinement chez le republicain
Dabin et se distribuaient sous le manteau, attirerent les recherches
de la police. Dabin fut arrete. On m'assure que Nodier, dans un moment
d'exaltation genereuse, ecrivit a Fouche et se denonca lui-meme comme
auteur de _la Napoleone_[177]. Quoi qu'il en soit, Fouche avait pour
bibliothecaire le Pere Oudet, ancien ami du pere de Nodier dans
l'Oratoire. Cette circonstance ne laissa pas de temperer les premieres
severites politiques contre l'imprudent jeune homme. Il fut renvoye a
son pere a Besancon; mais d'actives liaisons avec les emigres rentrants
et avec les ennemis du Gouvernement en general le compromirent de
nouveau. Accuse d'avoir pris part a l'evasion de Bourmont, il s'evada
lui-meme de la ville, et n'y revint qu'apres qu'un jugement rendu l'eut
mis a l'abri. Il dut fuir encore, comme plus ou moins enveloppe dans
la grande machination denoncee par Mehee sous le nom d'_alliance des
jacobins et des royalistes_: il etait en danger de passer pour un
_trait-d'union_ des deux partis. Prevenu a temps, il gagna la campagne
et resta errant jusque vers le commencement de 1806, soit dans le Jura
francais, soit en Suisse[178]. C'est dans cet intervalle qu'il produisit
_les Tristes_, et meme le _Dictionnaire des Onomatopees_, singuliere
inspiration chez un proscrit romanesque, et bien notable indice d'un
instinct philologique qui grandira.
[Note 177: Depuis que cette notice est ecrite, je suis arrive a
recueillir des informations tout a fait exactes et singulieres sur ce
point de la vie de Nodier. Ce fut lui qui se denonca en effet par une
lettre, dont voici le texte dans toute son excentricite, et qui sent son
Werther au premier chef:
"Parvenu au comble de l'infortune et du desespoir; abandonne de tout
ce que j'aimais; veuf de toutes mes affections; a vingt-cinq ans j'ai
survecu a tout amour et a toute amitie.
"Un ouvrage intitule _la Napoleone_ et dirige contre le Premier Consul a
paru il y a deux ans. La police en a recherche l'auteur. C'est moi.
"Il me reste du moins le bonheur d'etre coupable, et de pouvoir vous
demander la prison, l'exil ou l'echafaud.
"Sans attendre des hommes et de vous ni egards ni pitie, je vous
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