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Bonneville; c'est a lui surtout, a ses _apres et sauvages, mais fieres
et vigoureuses_ traductions, comme il les appelle, qu'il avait du d'etre
initie au theatre allemand. Bonneville avait debute jeune par des
poesies originales ou l'on remarque de la verve; ensuite il s'etait
livre au travail de traducteur. Vers 1786, en tete d'un _Choix de petits
romans imites de l'allemand_, il avait mis pour son compte une preface
ou il pousse le cri famelique et orgueilleux des genies meconnus. Il n'y
manque pas l'exemple de Chatterton, qu'il raconte et etale avec vigueur.
Il est l'un des premiers qui aient commence d'entonner cette lugubre
et emphatique complainte qui n'a fait que grossir depuis, et dont
l'opiniatre refrain revient a redire: _Admire-moi, ou je me tue!_ La
Revolution le dispersa violemment hors de la litterature[172]. Voila bien
quelques-uns des precurseurs parmi cette generation wertherienne d'avant
89, dont fut encore Granville, aussi decousu, plus malheureux que
Bonneville, et qui semble lui disputer un pan de ce manteau superbe et
quelque peu troue qui se dechira tout a fait entre ses mains. Granville,
auteur du _Dernier Homme_, poeme en prose dont Nodier s'est fait depuis
l'editeur, et que M. Creuse de Lesser a rime, Granville, atteint comme
Gilbert d'une fievre chaude, se noya le 1er fevrier 1805 a Amiens, dans
le canal de la Somme, qui coulait au pied de son jardin.
[Note 172: Voir sur Bonneville le portrait qu'en trace Nodier dans
_les Prisons de Paris sous le Consulat_, chap. I, et la note VIII du
_Dernier Banquet des Girondins_.]
Je demande pardon de remuer de si tristes frenesies; mais il le faut,
puisque c'est de la genealogie litteraire. Remarquez que le secret
du malheur de ces ecrivains tourmentes est en grande partie dans la
disproportion de l'effort avec le talent. Car de _talent_, a proprement
parler, c'est-a-dire de pouvoir createur, de faculte expressive, de mise
en oeuvre heureuse, ils n'en avaient que peu; ils n'ont laisse que des
lambeaux aussi dechires que leur vie, des canevas informes que les
imaginations enthousiastes ont eu besoin de revetir de couleurs
complaisantes, de leurs propres couleurs a elles, pour les admirer.
Ce fut sans doute un malheur de Nodier au debut, que de Se prendre de
ce cote, et de se trouver engage par je ne sais quelle fascination
irresistible vers ces faux et troublants modeles. Je concois et j'admets
qu'a l'entree de la vie, les premieres affect
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