e, qui, sans y songer, a herite a la longue de ces
infortunes des autres et des siennes propres, qui les resume en soi avec
eclat et charme, qui en est aujourd'hui en un mot le type visible et
subsistant. Cela fait aussi une gloire.
J'insiste encore, car, pour le litterateur, c'est tout si on le peut
rattacher a un vrai moment social, si on peut sceller a jamais son nom a
un anneau quelconque de cette grande chaine de l'histoire. Quelle fut,
a les prendre dans leur ensemble, la direction principale et historique
des generations qui arrivaient a la virilite en 89, et de celles qui
y atteignaient vers 1803? Pour les unes, la politique, la liberte, la
tribune; pour les autres, l'administration ou la guerre. De sorte
qu'on peut dire, en abregeant, que les generations politiques et
revolutionnaires de 89 eurent pour mot d'ordre _le droit_, et que les
generations obeissantes et militaires de l'Empire eurent pour mot
d'ordre _le devoir_. Or, nos generations, a nous, romanesques et
poetiques, n'ont guere eu pour mot d'ordre que _la fantaisie_.
Mais que devinrent les eclaireurs avances, les enfants perdus de nos
generations encore lointaines, lorsque, s'ebattant aux dernieres soirees
du Directoire, essayant leur premier essor aux jeunes soleils du
Consulat, et croyant deja a la plenitude de leur printemps, ils furent
pris par l'Empire, separes par lui de leur avenir espere, et enfermes
de toutes parts un matin en un horizon de fer comme dans le cercle de
Popilius? Ce fut un vrai cri de rage[166].
[Note 166: On peut lire dans _les Meditations du Cloitre_, qui font
suite au _Peintre de Saltzbourg_, le paragraphe qui commence ainsi:
"Voila une generation tout entiere, etc., etc."]
Deux seuls grands esprits souvent cites resisterent a cet Empire et lui
tinrent tete, M. de Chateaubriand et madame de Stael. Mais remarquez
bien qu'ils etaient tres au complet, et comme en armes, quand il
survint. M. de Chateaubriand se faisait deja homme en 89; dix ans
d'exil, d'emigration et de solitude acheverent de le tremper. Madame de
Stael, de meme, ne put etre supprimee par l'Empire, auquel elle etait
anterieure de position prise et de renommee fondee. Nes dix ou quinze
ans plus tard, et s'ils n'avaient eu que dix-sept ans en 1800, ces deux
chefs de la pensee eussent-ils fait tete aussi fermement a l'assaut? Du
moins, on l'avouera, les difficultes pour eux eussent ete tout autres.
Il faut en tenir compte au brillant, aimable et intermedi
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