_Portraits litteraires_, par M. Planche.]
Les soirs meme de dimanche, en cet _Arsenal_ toujours gracieux et
embelli, s'il s'oublie quelquefois, comme par megarde, a causer et a
rajeunir, si, debout a la cheminee, il s'engage en un attachant recit
qui ne va plus cesser, a mesure que sa parole elegante et flexible se
deroule, ecoutez, assistez! Voyez-vous cette organisation puissante qui
a faibli, comme elle se rehausse aux souvenirs! l'oeil s'eclaire, la
voix monte, le geste lui-meme, a peine sorti de sa longue indolence, est
eloquent. Je me figure un Vergniaud qui cause.
Dans le Nodier d'aujourd'hui, a travers la fatigue, il y a encore, par
acces, du montagnard elance a haute et large poitrine, de meme que dans
celui d'autrefois et jusqu'en sa pleine force, on dut entrevoir toujours
quelque chose de ce qui a promptement flechi. Les Francs-Comtois
transplantes ne sont-ils pas volontiers comme cela[169]?
[Note 169: Jouffroy, par exemple.]
Quoi qu'il en soit, lui, il etait tel lorsque ses premiers sejours a
Paris agrandirent sous ses pas bondissants le cercle des aventures.
J'ajourne pour un instant les echappees politiques: litterairement on le
possede des ce moment-la, d'une maniere complete et circonstanciee, dans
quelques petits ouvrages de lui qui furent concus sous ces coups de
soleil ardents, sous ces premieres lunes sanglantes et bizarres.
_Le Peintre de Saltzbourg_, journal des emotions d'un coeur souffrant,
suivi des _Meditations du Cloitre_, 1803.
_Le dernier Chapitre de mon Roman_, 1803.
_Essais d'un jeune Barde_, 1804.
_Les Tristes_, ou _Melanges tires des tablettes d'un Suicide_, 1806.
J'y ajouterais le roman intitule _les Proscrits_, si on pouvait se le
procurer[170]; mais j'y joins celui d'_Adele_, qui, publie beaucoup plus
tard, remonte pour la premiere idee et l'ebauche de la composition a ces
annees de prelude. En relisant ces divers ecrits, en tachant, s'il se
peut, pour les _Essais d'un jeune Barde_ et pour _les Tristes_, de
ressaisir l'edition originale (car dans les volumes des _oeuvres
completes_ la physionomie particuliere de ces petits recueils s'est
perdue et comme fondue), on surprend a merveille les affinites
sentimentales et poetiques de Nodier dans leurs origines.
[Note 170: On le peut assez aisement, car il a ete reimprime en 1820
(_Stella_ ou _les Proscrits_). L'auteur l'a rejete depuis avec raison,
comme trop juvenile et peu digne de ses _Oeuvres completes_. Les autres
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