ue et flottant ou je le
laisse, serait au besoin et a plaisir un peu de tout cela, un peu ou
beaucoup, mais par instants et sans rien d'exclusif et d'unique. Le pur
litterateur aime les livres, il aime la poesie, il s'essaye aux romans,
il s'egaye au pastiche, il effleure parfois l'histoire, il grapille
sans cesse a l'erudition; il abonde surtout aux particularites, aux
circonstances des auteurs et de leurs ouvrages; une note a la facon de
Bayle est son triomphe. Il peut vivre au milieu de ces diversites, de
ces trente rayons d'une petite bibliotheque choisie, sans faire un choix
lui-meme et en touchant a tout: voila ses delices. Il y a plus: poete,
romancier, prefacier, commentateur, biographe, le litterateur est
volontiers a la fois amateur et necessiteux, libre et commande; il
obeira maintes fois au libraire, sans cesser d'etre aux ordres de sa
propre fantaisie. Cette necessite qu'il maudit, il l'aime plus qu'il ne
se l'avoue: dans son imprevu, souvent elle lui demande ce qu'il n'eut
pas donne d'une autre maniere; elle supplee par acces et fait emulation
en quelque sorte a son imagination meme. Sa vie intellectuelle ainsi,
dans sa variete et son recommencement de tous les jours, est le
contraire d'une specialite, d'une voie droite, d'une chaussee reguliere.
Oh! combien je comprends que les parents sages d'autrefois ne
voulussent pas de litterateurs parmi leurs enfants! Les historiens, les
philosophes, les erudits, les linguistes, les _speciaux_, tous tant
qu'ils sont, encaisses dans leur rainure (en laquelle une fois entres,
notez-le bien, ils arrivent le plus souvent a l'autre bout par la force
des choses, comme sur un chemin de fer les wagons), tous ces esprits
justement etablis sont d'abord assez de l'avis des parents, et
professent eux-memes une sorte de dedain pour le litterateur, tel que je
le laisse flotter, et pour ce peu de carriere regulierement tracee, pour
cette ecole buissonniere prolongee a travers toutes sortes de sujets et
de livres; jusqu'a ce qu'enfin ce litterateur errant, par la multitude
de ces excursions, l'amas de ses notions accessoires, la flexibilite de
sa plume, la richesse et la fertilite de ses miscellanees, se fasse un
nom, une position, je ne dis pas plus utile, mais plus considerable que
celle des trois quarts des speciaux; et alors il est une puissance a son
tour, il a cours et credit devant tous, il est reconnu.
Nul ecrivain de nos jours ne saurait mieux preter a nous definir d'une
|