er de
partial et d'exagere.]
Pour etre juste toutefois, n'oublions pas que cette epoque fut le regne
de ce qu'on appelait _poesie legere_, et que, depuis le quatrain du
marquis de Sainte-Aulaire jusqu'a _la Confession de Zulme_, il naquit
une multitude de fadaises prodigieusement spirituelles, qui, avec les
in-folio de l'_Encyclopedie_, faisaient l'ordinaire des toilettes et des
soupers. Mais on ne vit rien alors de pareil a une poesie distincte ni a
une secte isolee de poetes. Ce genre leger etait plutot le rendez-vous
commun de tous les gens d'esprit, du monde, de lettres, ou de cour, des
mousquetaires, des philosophes, des geometres et des abbes. Les lectures
d'ouvrages en vers n'avaient pas lieu a petit bruit _entre soi_. Un
auteur de tragedie ou comedie, Chabanon, Desmahis, Colardeau, je
suppose, obtenait un salon a la mode, ouvert a tout ce qu'il y avait de
mieux; c'etait un sur moyen, pour peu qu'on eut bonne mine et quelque
debit, de se faire connaitre; les femmes disaient du bien de la piece;
on en parlait a l'acteur influent, au gentilhomme de la Chambre, et
le jeune auteur, ainsi pousse, arrivait s'il en etait digne. Mais il
fallait surtout assez d'intrepidite et ne pas sortir des formes recues.
Une fois, chez madame Necker, Bernardin de Saint-Pierre, alors inconnu,
essaya de lire _Paul et Virginie_: l'histoire etait simple et la voix
du lecteur tremblait; tout le monde bailla, et, au bout d'un demi-quart
d'heure, M. de Buffon, qui avait le verbe haut, cria au laquais: _Qu'on
mette les chevaux a ma voiture_!
De nos jours, la poesie, en reparaissant parmi nous, apres une absence
incontestable, sous des formes quelque peu etranges, avec un sentiment
profond et nouveau, avait a vaincre bien des perils, a traverser bien
des moqueries. On se rappelle encore comment fut accueilli le glorieux
precurseur de cette poesie a la fois eclatante et intime, et ce qu'il
lui fallut de genie opiniatre pour croire en lui-meme et persister. Mais
lui, du moins, solitaire il a ouvert sa voie, solitaire il l'acheve: il
n'y a que les vigoureuses et invincibles natures qui soient dans ce cas.
De plus faibles, de plus jeunes, de plus expansifs, apres lui, ont
senti le besoin de se rallier; de s'entendre a l'avance, et de preluder
quelque temps a l'abri de cette societe orageuse qui grondait alentour.
Ces sortes d'intimites, on l'a vu, ne sont pas sans profit pour l'art
aux epoques de renaissance ou de dissolution. Elles consolent,
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