e de l'art, etait loin de lui. Ce
second livre des Elegies de Millevoye reste bien inferieur au premier,
quoique l'intention en soit plus grande. Mais, chez Millevoye, l'art en
lui-meme est faible, et ce poete charmant, melodieux, correct, a besoin
de la sensibilite toujours presente. Comme il a manque, par exemple,
ce beau sujet d'Eschyle desertant Athenes qui lui prefere un rival! Je
cherche, j'attends quelque echo de ce grand vers resonnant d'Eschyle,
et je ne trouve que notre alexandrin clair et flute. Millevoye n'a pas
l'invention du style, l'illumination, l'image perpetuelle et renouvelee;
il a de l'oreille et de l'ame, et, quand il dit en poete amoureux ce
qu'il sent, il touche. Hors de la, il manque sa veine.
Nous avons compare plus d'une fois la muse d'Andre Chenier au portrait
qu'il fait lui-meme d'une de ses idylles, a cette jeune fille, chere a
Pales, qui sait se parer avec un art souverain dans ses graces naives:
De Pange, c'est vers toi qu'a l'heure du reveil
Court cette jeune fille au teint frais et vermeil:
Va trouver mon ami, va, ma fille nouvelle,
Lui disais-je. Aussitot, pour te paraitre belle,
L'eau pure a ranime son front, ses yeux brillants:
D'une etroite ceinture elle a presse ses flancs,
Et des fleurs sur son sein, et des fleurs sur sa tete,
Et sa flute a la main.........
La muse de Millevoye est bergere aussi, mais sans cet art inne qui
se met a tout, et par lequel la fille de Chenier, sous sa corbeille,
s'egale aisement aux reines ou aux deesses. Elle, sensible bergere, pour
emprunter a son poete meme des traits qui la peignent, elle est assez
belle aux yeux de l'amant si, au sortir de la grotte bocagere ou se sont
oubliees les heures, elle rapporte
Un doux souvenir dans son ame,
Dans ses yeux une douce flamme,
Une feuille dans ses cheveux.
Le troisieme livre d'Elegies de Millevoye se compose d'especes de
romances, auxquelles on en peut joindre quelques autres encadrees dans
ses poemes. J'avais lu la plupart de ces petits chants, j'avais lu ce
_Charlemagne_, cet _Alfred_, ou il en a insere; je trouvais l'ensemble
elegant, monotone et pali, et, n'y sentant que peu, je passais, quand un
contemporain de la jeunesse de Millevoye et de la notre encore, qui
me voyait indifferent, se mit a me chanter d'une voix emue, et l'oeil
humide, quelques-uns de ces refrains auxquels il rendit une vie
d'enchantement; et j'appris combien, un moment du moins, pour les
sensibles et
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