_mis en oeuvre_ et en valeur plus artistement. Je dis Andre
Chenier a dessein, malgre la disparate des genres et des noms; et,
chaque fois que j'en viens a ce passage de La Bruyere, le motif aimable
Elle a vecu, Myrto, la jeune Tarentine, etc.,
me revient en memoire et se met a chanter en moi[153].
[Note 153: M. de Barante, dans quelques pages elevees ou il juge
l'Eloge de La Bruyere par Fabre (_Melanges litteraires_, tome II), a
conteste cet artifice extreme du moraliste ecrivain, que Fabro aussi
avait presente un peu fortement. Pour moi, en relisant les _Caracteres_,
la rhetorique m'echappe, si l'on veut, mais j'y sons deplus en plus la
science de la Muse.]
Si l'on s'etonne maintenant que, touchant et inclinant par tant de
points au XVIIe siecle, La Bruyere n'y ait pas ete plus invoque et
celebre, il y a une premiere reponse: C'est qu'il etait trop sage, trop
desinteresse et repose pour cela; c'est qu'il s'etait trop applique a
l'homme pris en general ou dans ses varietes de toute espece, et il
parut un allie peu actif, peu special, a ce siecle d'hostilite et de
passion. Et puis le piquant de certains portraits tout personnels avait
disparu. La mode s'etait melee dans la gloire du livre, et les modes
passent. Fontenelle (_Cyclias_) ouvrit le XVIIIe siecle, en etant
discret a bon droit sur La Bruyere qui l'avait blesse; Fontenelle, en
demeurant dans le salon cinquante ans de plus que les autres, eut ainsi
un long dernier mot sur bien des ennemis de sa jeunesse. Voltaire, a
Sceaux, aurait pu questionner sur La Bruyere Malezieu, un des familiers
de la maison de Conde, un peu le collegue de notre philosophe dans
l'education de la duchesse du Maine et de ses freres, et qui avait lu le
manuscrit des _Caracteres_ avant la publication; mais Voltaire ne parait
pas s'en etre soucie. Il convenait a un esprit calme et fin comme
l'etait Suard, de reparer cette negligence injuste, avant qu'elle
s'autorisat[154]. Aujourd'hui, La Bruyere n'est plus a remettre a son
rang. On se revolte, il est vrai, de temps a autre, contre ces belles
reputations simples et hautes, conquises a si peu de frais, ce semble;
on en veut secouer le joug; mais, a chaque effort contre elles, de pres,
on retrouve cette multitude de pensees admirables, concises, eternelles,
comme autant de chainons indestructibles: on y est repris de toutes
parts comme dans les divines mailles des filets de Vulcain.
[Note 154: On peut voir au tome II des Memoires de
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