un art eclatant, Le Brun tente des voies ardues,
heurte a toutes les portes de l'Olympe lyrique, et, apres plus de bruit
que de gloire, meurt, corrigeant et recorrigeant des odes qui n'ont
a aucun temps triomphe. Il y a dans cette destinee quelque chose de
toujours _a cote_, pour ainsi dire, et qui ne satisfait pas. Fontanes,
connu par des debuts poetiques purs et touchants, s'en retire bientot,
s'endort dans la paresse, et s'eclipse dans les dignites: c'est la une
fin non poetique, assez discordante, et que l'imagination n'admet pas.
Andre Chenier, lui, nature gracieuse et studieuse, mais energique
pourtant et passionnee, vaincu violemment et intercepte avant l'heure,
a son harmonie a la fois delicate et grande. Millevoye, en son moindre
geste, a la sienne egalement. Chez lui, l'accord est parfait entre le
moment de la venue, le talent et la vie. Il chante, il s'egaye, il
soupire, et, dans son gemissement s'en va, un soir, au vent d'automne,
comme une de ces feuilles dont la chute est l'objet de sa plus douce
plainte; il incline la tete, comme fait la marguerite coupee par la
charrue, ou le pavot surcharge par la pluie. De tous les jeunes poetes
qui ne meurent ni de desespoir, ni de fievre chaude, ni par le couteau,
mais doucement et par un simple effet de lassitude naturelle, comme des
fleurs dont c'etait le terme marque, Millevoye nous semble le plus aime,
le plus en vue, et celui qui restera.
Il y a mieux. En nous tous, pour peu que nous soyons poetes, et si nous
ne le sommes pourtant pas decidement, il existe ou il a existe une
certaine fleur de sentiments, de desirs, une certaine reverie premiere,
qui bientot s'en va dans les travaux prosaiques, et qui expire dans
l'occupation de la vie. Il se trouve, en un mot, dans les trois quarts
des hommes, comme un poete qui meurt jeune, tandis que l'homme survit.
Millevoye est au dehors comme le type personnifie de ce poete jeune qui
ne devait pas vivre, et qui meurt, a trente ans plus ou moins, en chacun
de nous[155].
[Note 155: M. Alfred de Musset m'a adresse, a l'occasion de ce
passage, de tres-aimables vers auxquels j'ai repondu. (Voir dans les
_Pensees d'Aout_.)]
Sa vie, aussi simple que courte, n'offre qu'un petit nombre de traits
sur lesquels nous courrons. Charles-Hubert Millevoye est ne a Abbeville
le 24 decembre 1782, et par consequent, s'il vivait aujourd'hui, il
aurait a peu pres le meme age (un peu moins) que Beranger. Il recut
tous les soins affectueux e
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