assez blond, il
avait, sauf les lunettes qu'il portait sans cesse, toute l'elegance du
jeune homme. Un rayon de soleil l'appelait, et il partait soudain pour
une promenade de cheval; il ecrivait ses vers au retour de la, ou en
rentrant de quelque dejeuner folatre. Aucune des histoires romanesques,
que quelques biographes lui ont attribuees, n'est exacte; mais il dut
en avoir reellement beaucoup qu'on n'a pas connues. La jolie piece du
_Dejeuner_ nous raconte bien des matinees de ses printemps. Il essayait
du luxe et de la simplicite tour a tour, et passait d'un entresol
somptueux a quelque riante chambrette d'un village d'aupres de Paris.
Il aimait beaucoup les chevaux, et les plus fringants[159]. Apres chaque
livre ou chaque prix, il achetait de jolis cabriolets, avec lesquels il
courait de Paris a Abbeville, pour y voir sa mere, sa famille, ses
vieux professeurs; il se remettait au grec pres de ceux-ci. Il aimait
tendrement sa mere; quand elle venait a Paris, elle l'avait tout entier.
Un jour, l'Archi-Chancelier Cambaceres, chez qui il allait souvent,
lui dit: "Vous viendrez diner chez moi demain."--"Je ne puis pas,
Monseigneur, repondit-il, je suis invite."--"Chez l'Empereur donc?"
repliqua le second personnage de l'Empire.--"Chez ma mere," repartit le
poete. Ce petit trait rappelle de loin la belle carpe que Racine, en
reponse a une invitation de M. le Duc, montrait a l'ecuyer du prince, et
qu'il tenait absolument a manger en famille avec ses _pauvres enfants_,
le grand Racine qu'il etait.
[Note 159: On peut lire a ce propos une histoire de cheval assez
agreablement contee par Arnault, _Souvenirs d'un Sexagenaire_, t. IV, p.
217 et suiv.]
Il reste plaisant toujours que le personnage qu'etait la-bas M. le Duc,
se trouve ici devenu le _citoyen_ Cambaceres.
Millevoye, sans ambition, sans un ennemi, tres-repandu, tres-vif au
plaisir, tres-amoureux des vers, vivait ainsi. Il n'etait pas encore
malade et au lait d'anesse, et certaines historiettes que des personnes,
qui d'ailleurs l'ont connu, se sont plu a broder sur son compte, ne
sont, je le repete, que des jeux d'imagination, et comme une sorte de
legende romanesque qu'on a essaye de rattacher au nom de l'auteur de _la
Chute des Feuilles_ et du _Poete mourant_. Il ne devint malade de la
poitrine qu'un an avant sa mort; jusque-la il etait seulement delicat
et volontiers melancolique, bien qu'enclin aussi a se dissiper. On doit
croire qu'en avancant dans la jeunes
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