tout bas, quelque chose
de mieux et de plus fin. Il y a nombre de pensees droites, justes,
proverbiales, mais trop aisement communes, dans Boileau, que La Bruyere
n'ecrirait jamais et n'admettrait pas dans son elite. Il devait trouver
au fond de son ame que c'etait un peu trop de pur bon sens, et, sauf le
vers qui releve, aussi peu rare que bien des lignes de Nicole. Chez lui
tout devient plus detourne et plus neuf; c'est un repli de plus qu'il
penetre. Par exemple, au lieu de ce genre de sentences familieres a
l'auteur de l'_Art poetique_:
Ce que l'on concoit bien s'enonce clairement, etc.,
il nous dit, dans cet admirable chapitre _des Ouvrages de l'Esprit_,
qui est son _Art poetique_ a lui et sa _Rhetorique_: "Entre toutes les
differentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensees, il
n'y en a qu'une qui soit la bonne: on ne la rencontre pas toujours en
parlant ou en ecrivant; il est vrai neanmoins qu'elle existe, que tout
ce qui ne l'est point est foible et ne satisfait point un homme d'esprit
qui veut se faire entendre." On sent combien la sagacite si vraie, si
judicieuse encore, du second critique, encherit pourtant sur la raison
saine du premier. A l'appui de cette opinion, qui n'est pas recente,
sur le caractere de novateur entrevu chez La Bruyere, je pourrais faire
usage du jugement de Vigneul-Marville et de la querelle qu'il soutint
avec Coste et Brillon a ce sujet: mais, le sentiment de ces hommes
en matiere de style ne signifiant rien, je m'en tiens a la phrase
precedemment citee de D'Olivet. Le gout changeait donc, et La Bruyere y
aidait _insensiblement_. Il etait bientot temps que le siecle finit: la
pensee de dire autrement, de varier et de rajeunir la forme, a pu naitre
dans un grand esprit; elle deviendra bientot chez d'autres un tourment
plein de saillies et d'etincelles. Les _Lettres Persanes_, si bien
annoncees et preparees par La Bruyere, ne tarderont pas a marquer la
seconde epoque. La Bruyere n'a nul tourment encore et n'eclate pas, mais
il est deja en quete d'un agrement neuf et du trait. Sur ce point il
confine au XVIIIe siecle plus qu'aucun grand ecrivain de son age;
Vauvenargues, a quelques egards, est plus du XVIIe siecle que lui. Mais
non...; La Bruyere en est encore pleinement, de son siecle incomparable,
en ce qu'au milieu de tout ce travail contenu de nouveaute et de
rajeunissement, il ne manque jamais, au fond, d'un certain gout Simple.
[Note 152: Et. M. de Feletz, bo
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