ligieux, et d'un spiritualisme fermement raisonne, comme en
fait foi son chapitre des _Esprits forts_; qui, venu le dernier, repond
tout ensemble a une beaute secrete de composition, a une precaution
menagee d'avance contre des attaques qui n'ont pas manque, et a une
conviction profonde. La dialectique de ce chapitre est forte et sincere;
mais l'auteur en avait besoin pour racheter plus d'un mot qui denote le
philosophe aisement degage du temps ou il vit, pour appuyer surtout
et couvrir ses attaques contre la fausse devotion alors regnante.
La Bruyere n'a pas deserte sur ce point l'heritage de Moliere: il a
continue cette guerre courageuse sur une scene bien plus resserree
(l'autre scene, d'ailleurs, n'eut plus ete permise), mais avec des
armes non moins vengeresses. Il a fait plus que de montrer au doigt le
courtisan, _qui autrefois portait ses cheveux_, en perruque desormais,
l'habit serre et le bas uni, parce qu'il est devot; il a fait plus que
de denoncer a l'avance les represailles impies de la Regence, par le
trait ineffacable: _Un devot est celui qui sous un roi athee serait
athee_; il a adresse a Louis XIV meme ce conseil direct, a peine voile
en eloge: "C'est une chose delicate a un prince religieux de reformer la
cour et de la rendre pieuse; instruit jusques ou le courtisan veut lui
plaire et aux depens de quoi il feroit sa fortune, il le menage avec
prudence; il tolere, il dissimule, de peur de le jeter dans l'hypocrisie
ou le sacrilege; il attend plus de Dieu et du temps que de son zele et
de son industrie."
Malgre ses dialogues sur le quietisme, malgre quelques mots qu'on
regrette de lire sur la revocation de l'edit de Nantes, et quelque
endroit favorable a la magie, je serais tente plutot de soupconner La
Bruyere de liberte d'esprit que du contraire. _Ne chretien et Francais_,
il se trouva plus d'une fois, comme il dit, _contraint dans la satire_;
car, s'il songeait surtout a Boileau en parlant ainsi, il devait par
contre-coup songer un peu a lui-meme, et a ces _grands sujets_ qui lui
etaient _defendus_. Il les sonde d'un mot, mais il faut qu'aussitot il
s'en retire. Il est de ces esprits qui auraient eu peu a faire (s'ils ne
l'ont pas fait) pour sortir sans effort et sans etonnement de toutes les
circonstances accidentelles qui restreignent la vue. C'est bien moins
d'apres tel ou tel mot detache, que d'apres l'habitude entiere de son
jugement, qu'il se laisse voir ainsi. En beaucoup d'opinions comme en
s
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