tyle, il se rejoint assez aisement a Montaigne.
On doit lire sur La Bruyere trois morceaux essentiels, dont ce que je
dis ici n'a nullement la pretention de dispenser. Le premier morceau en
date est celui de l'abbe D'Olivet dans son _Histoire de l'Academie_. On
y voit trace d'une maniere de juger litteralement l'illustre auteur, qui
devait atre partagee de plus d'un esprit _classique_ a la fin du XVIIe
et au commencement du XVIIIe siecle: c'est le developpement et, selon
moi, l'eclaircissement du mot un peu obscur de Boileau a Racine.
D'Olivet trouve a La Bruyere trop d'_art_, trop d'_esprit_, quelque abus
de _metaphores_: "Quant au style precisement, M. de La Bruyere ne doit
pas etre lu sans defiance, parce qu'il a donne, mais pourtant avec une
moderation qui, de nos jours, tiendroit lieu de merite, dans ce style
affecte, guinde, entortille, etc." Nicole, dont La Bruyere a paru dire
en un endroit _qu'il ne pensoit pas assez_ [148], devait trouver, en
revanche, que le nouveau moraliste pensait trop, et se piquait trop
vivement de raffiner la tache. Nous reviendrons sur cela tout a l'heure.
On regrette qu'a cote de ces jugements, qui, partant d'un homme de
gout et d'autorite, ont leur prix, D'Olivet n'ait pas procure plus
de details, au moins academiques, sur La Bruyere. La reception de La
Bruyere a l'Academie donna lieu a des querelles, dont lui-meme nous a
entretenus dans la preface de son Discours et qui laissent a desirer
quelques explications[149]. Si heureux d'emblee qu'eut ete La Bruyere, il
lui fallut, on le voit, soutenir sa lutte a son tour comme Corneille,
comme Moliere en leur temps, comme tous les vrais grands. Il est oblige
d'alleguer son chapitre des _Esprits forts_ et de supposer a l'ordre de
ses matieres un dessein religieux un peu subtil, pour mettre a couvert
sa foi. Il est oblige de nier la realite de ses portraits, de rejeter
au visage des fabricateurs _ces insolentes clefs_ comme il les appelle:
Martial avait deja dit excellemment: _Improbe facit qui in alieno libro
ingeniosus est._ "En verite, je ne doute point, s'ecrie La Bruyere avec
un accent d'orgueil auquel l'outrage a force sa modestie, que le
public ne soit enfin etourdi et fatigue d'entendre depuis quelques
annees de vieux corbeaux croasser autour de ceux qui, d'un vol libre et
d'une plume legere, se sont eleves a quelque gloire par leurs ecrits."
Quel est ce corbeau qui croassa, ce _Theobalde_ qui bailla si fort et si
haut a la harangue de
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