disent les autres et D'Olivet le premier, qui
le fait mourir a cinquante-deux ans (1696). En adoptant cette date de
1644[136], La Bruyere aurait eu vingt ans quand parut _Andromaque;_ ainsi
tous les fruits successifs de ces riches annees murirent pour lui et
furent le mets de sa jeunesse; il essuyait, sans se hater, la chaleur
feconde de ces soleils. Nul tourment, nulle envie. Que d'annees d'etude
ou de loisir durant lesquelles il dut se borner a lire avec douceur et
reflexion, allant au fond des choses et attendant! Il resulte d'une note
ecrite vers 1720 par le Pere Bougerel ou par le Pere Le Long, dans des
memoires particuliers qui se trouvaient a la bibliotheque de l'Oratoire,
que La Bruyere a ete de cette congregation[137]. Cela veut-il dire qu'il
y fut simplement eleve ou qu'il y fut engage quelque temps? Sa premiere
relation avec Bossuet se rattache peut-etre a cette circonstance. Quoi
qu'il en soit, il venait d'acheter une charge de tresorier de France a
Caen lorsque Bossuet, qu'il connaissait on ne sait d'ou, l'appela pres
de M. le Duc pour lui enseigner l'histoire. La Bruyere passa le reste de
ses jours a l'hotel de Conde a Versailles, attache au prince en qualite
d'homme de lettres avec mille ecus de Pension.
[Note 136: On sait enfin maintenant, apres bien des tatonnements, et
d'une maniere positive, que La Bruyere est ne a Paris et y a ete
baptise le 17 aout 1645. Le registre des naissances de la paroisse
Saint-Christophe-en-Cite eu fait foi.]
[Note 137: Histoire manuscrite de l'Oratoire, par Adry, aux Archives
du Royaume.]
D'Olivet, qui est malheureusement trop bref sur le celebre auteur, mais
dont la parole a de l'autorite, nous dit en des termes excellents:
"On me l'a depeint comme un philosophe, qui ne songeoit qu'a vivre
tranquille avec des amis et des livres, faisant un bon choix des uns et
des autres; ne cherchant ni ne fuyant le plaisir; toujours dispose
a une joie modeste, et ingenieux a la faire naitre; poli dans ses
manieres et sage dans ses discours; craignant toute sorte d'ambition,
meme celle de montrer de l'esprit[138]." Le temoignage de l'academicien se
trouve confirme d'une maniere frappante par celui de Saint-Simon,
qui insiste, avec l'autorite d'un temoin non suspect d'indulgence,
precisement sur ces memes qualites de bon gout et de sagesse: "Le
public, dit-il, perdit bientot apres (1696) un homme illustre par son
esprit, par son style et par la connoissance des hommes; mes; je veux
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