t souvent. Elle avait compris Eugenie au premier coup d'oeil, et
avait concu pour elle une bienveillante sympathie. Horace fut frappe de
l'amicale familiarite avec laquelle cette grande dame s'assit aupres de
la fille du peuple, de la maitresse du carabin, et lui parla simplement
et affectueusement. Il remarqua aussi le bon sens et la dignite
qu'Eugenie mit dans cet entretien avec la comtesse. A partir de ce jour
il eut pour elle un respect qui se dementit rarement, et abjura presque
toutes ses anciennes preventions.
L'arrivee d'Horace au chateau fut une bonne fortune pour la vicomtesse,
qui commencait a s'ennuyer de son entourage, et qui se souvenait d'avoir
trouve de l'esprit et de l'originalite a ce jeune homme. Elle lui fit
d'agreables reproches de l'avoir negligee a Paris.
"Vous avez trouve notre maison ennuyeuse, lui dit-elle avec ce ton ou
la flatterie tenait de si pres a la moquerie qu'il etait difficile de
savoir jamais laquelle des deux l'emportait; nous le serons peut-etre
moins ici; et d'ailleurs a la campagne, on est moins difficile.
--C'est cette consideration qui m'a donne le courage de me presenter
devant vous, Madame," repondit Horace avec une humilite impertinente qui
ne fut pas mal recue.
La vicomtesse ne se connaissait pas plus en veritable esprit qu'en
veritable merite. Elle ne cherchait dans un homme qu'une seule capacite,
celle qui consiste a savoir louer et aduler une femme. Au premier coup
d'oeil elle se rendait compte de l'effet qu'elle pouvait produire sur
l'esprit d'un nouveau venu; et s'il n'y avait pas de prise pour elle sur
cet esprit-la, elle ne se donnait point de peine inutile, et le traitait
tout de suite en ennemi. En cela consistait tout son tact. Elle ne
se compromettait vis-a-vis de personne, et ne reculait devant aucune
inimitie. Elle savait se faire assez de partisans pour ne pas craindre
les adversaires. Pour juger les hommes qui l'approchaient, elle n'avait
donc qu'un poids et qu'une mesure: quiconque ne l'appreciait pas etait
tenu, sans retour et sans appel, pour un butor, un cuistre ou un sot;
quiconque la remarquait et cherchait a se faire remarquer par elle,
etait note et enrole d'avance dans la brigade de ses favoris ou de ses
proteges. Les manieres timides, l'emotion d'un jeune adorateur, lui
plaisaient; mais l'audace d'un fat entreprenant lui plaisait davantage.
Froide et maladive, elle ne pouvait pas etre tout a fait galante; mais
elle etait coquette et dissolue
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