eut voulu se l'inoculer. Mais s'il y reussit dans les petites choses,
il ne put le faire dans les grandes. Le naturel et l'habitude furent
vaincus la ou l'etiquette ne commandait que des sacrifices faciles;
mais lorsqu'elle ordonna celui de la vanite, elle fut impuissante, et
l'amour-propre un peu grossier, la presomption un peu deplacee, la
personnalite un peu apre de l'homme _du tiers_, reprirent le dessus.
C'etait tout le contraire de ce qu'eut souhaite la vicomtesse. Elle
aimait la gaucherie spirituelle et gracieuse d'Horace; elle trouva qu'il
la perdait trop vite. Elle esperait de sa part une grande abnegation,
une sorte d'heroisme en amour; elle n'en trouva pas en lui le moindre
elan.
Cependant, comme le coeur de ce jeune homme n'etait pas corrompu,
mais seulement fausse, il eprouva, durant les premiers jours, une
reconnaissance vraie pour la vicomtesse. Il le lui exprima avec talent,
et elle se crut enfin adoree, comme elle avait l'ambition de l'etre. Il
y eut meme une sorte de grandeur dans la maniere dont Horace accepta
sans mefiance, sans curiosite, et sans inquietude, le passe de sa
nouvelle maitresse. Elle lui disait qu'il etait le premier homme qu'elle
eut aime. Elle disait vrai en ce sens qu'il etait le premier homme
qu'elle eut aime de cette maniere. Horace n'hesitait point a la prendre
au mot. Il acceptait sans peine l'idee qu'aucun homme n'avait pu meriter
l'amour qu'il inspirait; et quant aux peccadilles dont il pensait bien
que la vie de Leonie n'etait point exempte, il s'en souciait si peu,
qu'il ne lui fit a cet egard aucune question indiscrete. Il ne connut
point avec elle cette jalousie retroactive qui avait fait de ses amours
avec Marthe un double supplice. D'une part, ses idees sur le merite des
femmes s'etaient beaucoup modifiees dans la societe de la vicomtesse
et a l'ecole du vieux marquis. Il ne cherchait plus cette chastete
bourgeoise dont il avait fait longtemps son ideal, mais bien la
desinvolture leste et galante d'une femme a la mode. D'autre part,
il n'etait pas humilie des predecesseurs que lui avait donnes la
vicomtesse, comme il l'avait ete de succeder dans le coeur de Marthe a
M. Poisson, le cafetier, et (selon ses suppositions) a Paul Arsene, le
garcon de cafe. Chez Leonie, c'etait a des grands seigneurs sans doute,
a des ducs, a des princes peut-etre, qu'il succedait; et cette brillante
avant-garde, qui avait ouvert et precede sa marche triomphale, lui
paraissait un cortege dont
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