our un de ces assidus dont on disait: Ils sont tous heureux, ou
bien il n'y en a pas un seul; tous sont egalement favorises ou tenus a
distance. Ce n'etait pas ainsi qu'Horace eut arrange son role, si on lui
en eut laisse le choix; son principal sentiment aupres de Leonie avait
ete le desir d'ecraser tous ses rivaux dans l'apparence, sinon dans la
realite, et de faire dire de lui: "Voila celui qu'elle favorise; aucun
autre n'est ecoute." Il souffrit donc bien vite de l'obscurite de sa
position et du peu de retentissement de sa victoire. Il s'en consola
en la confiant sous le sceau du secret, non-seulement a moi, mais a
quelques autres personnes qu'il ne connaissait pas assez pour les
traiter avec cet abandon, et qui, le jugeant extremement fat, ne
voulurent pas croire a son succes.
Ces indiscretions tournerent donc a la honte d'Horace et a la
glorification de la vicomtesse, qui les apprit et les dementit en
disant, avec un sang-froid admirable et une douceur angelique, que cela
etait impossible, parce qu'Horace etait un homme d'honneur, incapable
d'inventer et de repandre un fait contraire a la verite. Mais
lorsqu'elle le revit tete a tete, elle lui fit sentir sa faute avec des
menagements si cruels et une bonte si mordante, qu'il fut force, tout
en etouffant de rage, de se lancer aupres d'elle dans un systeme de
denegations et de mensonges pour reconquerir sa confiance et son estime.
Mais c'en etait fait deja pour jamais. La curiosite de Leonie etait
satisfaite; sa vanite etait assouvie par toutes les louanges ampoulees
qu'Horace lui avait prodiguees, au lieu d'ardeur, dans ses epanchements,
au lieu d'affection, dans ses epitres en prose et en vers. Il avait
epuise pour elle tout son vocabulaire ebouriffant de l'amour a la mode;
il l'avait saturee d'epithetes delirantes, et ses billets etaient
cribles de points d'exclamation. Leonie en avait assez. En femme
d'esprit, elle s'etait vite lassee de tout ce mauvais gout poetique.
En diplomate clairvoyant, elle avait reconnu que cet amour-la n'etait
different de celui qu'elle connaissait que par l'expression, et que
ce n'etait pas la peine de s'exposer vis-a-vis du public a des propos
ridicules, pour ecouter un jargon d'amour qui ne l'etait pas moins.
Apres un mois de cette experience, chaque jour plus froide et plus
triste, Leonie resolut de se debarrasser peu a peu de cette intrigue,
afin de pouvoir, en attendant mieux, retourner au comte de Meilleraie,
qui etait un homme
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