l'affliger ou de l'inquieter.
"Il me serait tout a fait impossible de le definir, repondit-elle; car
depuis une heure je cherche en vain a le faire vis-a-vis de moi-meme.
Il me semble que c'est un sentiment de terreur douloureuse, un frisson
comme celui qu'on eprouverait en regardant les instruments d'une torture
qu'on aurait subie. Ce que je peux te dire avec certitude, c'est que
tout, dans cette emotion, est penible, affreux meme; qu'il s'y mele de
la honte, du remords de t'avoir si longtemps meconnu, le regret d'avoir
tant souffert pour un homme si peu serieux, une sorte de degout et
de haine contre moi-meme. Enfin cela me fait mal, sans le plus petit
melange de satisfaction et d'attendrissement: tout ce que dit cet homme
semble affecte, vain et faux. Il me fait pitie; mais quelle pitie
amere et humiliante pour lui et pour moi! Il me semble que quand tu
le reverras tel qu'il est maintenant, elegant et malpropre, humble
et pretentieux, fletri et pueril, tu ne pourras pas t'empecher de me
mepriser, pour t'avoir prefere ce comedien plus mauvais, helas! que tous
ceux avec lesquels j'ai eu le malheur de jouer des scenes d'amour a
Belleville."
Marthe disait sincerement ce qu'elle pensait, et ne faisait aucun effort
hypocrite pour rassurer son epoux. Cependant elle ne put dormir de
la nuit. L'agitation que son debut lui avait causee ajoutait a celle
qu'Horace etait venu lui imposer. Elle fit des reves fatigants, durant
lesquels elle s'imagina, a plusieurs reprises, etre retombee sous sa
domination funeste, et ou les scenes cruelles du passe se representerent
a son imagination plus violentes et plus horribles encore que dans la
realite. Elle se jeta plusieurs fois dans le sein d'Arsene avec des cris
etouffes, comme pour y chercher un refuge contre son ennemi; et Arsene,
en la rassurant et en la benissant de cet instinct de confiance et de
tendresse, se sentit beaucoup plus malheureux que s'il l'eut trouvee
indifferente au souvenir d'Horace.
A son lever, Marthe ayant pris son enfant dans ses bras pour oublier en
le caressant toutes les angoisses de la nuit, la mere Olympe lui remit
une lettre qu'Horace avait passe cette meme nuit a lui ecrire. Il me
l'avait montree avant de la lui faire porter: c'etait vraiment un
chef-d'oeuvre, non-seulement de style et d'eloquence, mais de sentiments
et d'idees. Jamais il n'avait ete mieux inspire pour s'exprimer, et
jamais il n'avait semble rempli d'instincts plus nobles, plus purs,
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